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Promenades avec Leïla Sebbar
Entretien avec Leïla Sebbar - (Le Pays de ma mère - Voyage en Frances, Bleu Autour, Octobre 2013)


- Leïla Sebbar, Le Pays de ma mère - Voyage en Frances, Bleu Autour, Octobre 2013, 217 p., 28 €, ISBN : 978-2-35848-054-3

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Présentation de l'ouvrage par l'éditeur : Après Mes Algéries en France, Le Pays de ma mère, versant français d'une nouvelle autobiographie collective, voyage baroque, joyeux et mélancolique dans les Frances de Leïla Sebbar. La France de l'enfance, fille de l'Algérie natale et coloniale : la Dordogne maternelle, les aïeux du Sud-Ouest et du Nord-Pas-de-Calais, les Mariannes et les écoles de la République, des coiffes niçoises et bourbonnaises, les rivières, bois et champs, et Jeanne d'Arc. Puis Mai 68, le MLF. Des femmes racontent leur France en révolution. Et les Frances de compagnes et compagnons dont les pages manuscrites dessinent des paysages politiques et singuliers. Ils croisent les routes de Leïla Sebbar : Bars-Tabac-PMU d'Alsace et de Belleville, le métro et ses colleurs d'affiches, les gisants dans les rues de Paris, Chérie Lili, les toilettes des palaces, les phares bretons, la mer...

Entretien

Parutions.com : Comment décririez-vous ce livre ? Est-ce un journal, un album, un récit, des récits ? Ou simplement un voyage…

Leïla Sebbar : Je crois qu’on peut dire que c’est un voyage, ou une promenade avec tout ce que cela suppose : un vagabondage – on va ici, on va là, il n’y a pas de rationalité, pas d’organisation du voyage. Ce n’est pas du tourisme, on vagabonde à travers des émotions diverses, qui sont provoquées par des paysages, des personnes, des objets, des maisons, tout ce que l’on peut voir au cours d’un voyage. J’aime beaucoup voyager en France, je voyage souvent, en train ou en voiture en prenant les départementales et je vois ce qui m’inspire. Je ne vois pas tout ; chacun de nous sélectionne suivant ses intérêts, suivant son travail aussi, suivant ses sentiments. S’agissant de la France, chacun a la sienne et sa façon de la voir, de la regarder, de l’écrire, de l’entendre. C’est ça que j’aime.

Parutions.com : Pourquoi avez-vous choisi cette structure fragmentaire ?

Leïla Sebbar : Parce que je crois que le fragment est ma manière de voir, d’écrire, et d’entendre. J’aime beaucoup être dans les cafés (le comptoir du café, souvent) et prendre un expresso, lire le journal et puis rester là un moment, écouter, regarder. Je saisis des bribes, j’entends des morceaux de phrases, je vois des gestes – qui sont aussi des fragments de corps. Quand je me promène dans la rue, quand je me promène en France aussi, je regarde de cette manière-là, j’entends de cette manière-là. Je ne pense pas être la seule à le faire mais je crois que depuis que j’écris, je suis dans le fragment, parce que le métissage dont je suis issue a provoqué la fragmentation. Et l’exil aussi. L’exil accentue la fragmentation.
Je serais incapable d’écrire un roman-feuilleton, je ne saurais pas du tout. Mais écrire un roman par fragments, des nouvelles – les nouvelles sont aussi des fragments –, des récits de voyage, je crois que c’est le mode d’expression qui me convient. Dans ce genre de livre, Le Pays de ma mère ou Mes Algéries en France, j’accompagne aussi les mots d’images. Les images ne sont pas seulement des illustrations ; les images sont aussi un moyen de voir et de regarder de manière transversale et par fragments aussi, parce que l’image, c’est aussi du fragment, et ce croisement entre les mots et les images me réjouit.

Parutions.com : Pourquoi ce sous-titre – Voyage en Frances – où le voyage est au singulier et sont évoquées plusieurs Frances ?

Leïla Sebbar : La France, au singulier, c’est la France des livres d'historiens. Il y a une France comme tous les autres pays qui ont une histoire – chaque pays, chaque nation a une histoire – et cette histoire, les historiens en rendent compte de manière scientifique, en principe. Dans certains pays, c’est plus idéologique, on le sait. C’est La France. Ici, je mets la France au pluriel parce qu’il s’agit de Frances expressives, sentimentales, émotives – on peut en avoir autant que d’habitants de la France, et autant que d’étrangers qui regardent la France, quand ils sont en France. Le mot France au pluriel renvoie à cette pluralité, à cette diversité aussi. J’ai demandé à des amis écrivains, un texte – manuscrit, d’ailleurs, parce que la présence de la main, de la plume, c’est aussi une intimité de la personne, une intimité de leur France. Chacun rend compte - en partie, naturellement, parce qu'il ne s'agit que d'une page – de la France qui est la sienne et à laquelle il est attaché. Donc, le pluriel n’est pas académique – je pense que l’Académie française refuserait le pluriel ; il est émotif, il est littéraire.

Parutions.com : Concernant ces manuscrits d’autres écrivains, comment voyez-vous ces pages par rapport à votre propre écriture ?

Leïla Sebbar : Ils l'accompagnent ! J’accompagne ces pages et ces pages m’accompagnent. Chaque page est une page autobiographique. Ce que j’écris appartient à l’autobiographie ou au récit de soi, et c’est pour cette raison que je parle d’autobiographie collective. Une France qu’on partage, des Frances qu’on partage.

Parutions.com : La France est le pays de votre mère ; et ce sont des femmes qui ont dirigé la révolution dans votre récit de mai 68. Votre France est-elle principalement féminine ?

Leïla Sebbar : Est-ce que je dirais que ma France est d’abord féminine ?... Quand j’ai commencé à voir la France et à la regarder – la France physique, la France de chair –, c’est effectivement avec des femmes dans la rue que je l’ai fait. Sinon, j’étais toujours dans les livres, dans les souterrains de la Bibliothèque nationale de la rue Richelieu, toujours avec les livres. Quand j’étais en Algérie, c’était la guerre d’Algérie et j’étais en pension, tout le temps, et en pension, je n’étais pas avec les autres, j’étais avec les livres. J’ai toujours été avec les livres. Chez moi, il y a toujours eu des livres, parce que mes parents sont instituteurs. Sortir des livres, ça a été pour moi un mouvement vers les autres, vers la France, et avec des femmes.
J'ai aussi participé aux mouvements de mai 68, qui étaient des mouvements mixtes. Mais, c’est vrai que je n’étais pas très à l’aise, parce que – dans mon expérience, et je n’étais pas la seule à le sentir et à le penser – c’était toujours les garçons qui étaient les leaders, qui prenaient la parole, qui faisaient le discours, qui disaient les tâches à faire – des tâches militantes, politiques –, qui donnaient la ligne politique. Moi, je n’aimais pas être dans ce rôle de soumission. En même temps, je n’avais pas une expérience suffisante pour prendre la parole donc je ne la prenais pas. J’étais dans une sorte de mutisme prolongé. J’allais dans les manifestations de mai 68, je criais avec les autres, là je pouvais le faire, parce que ce n'était pas un espace clos. C’était dans la rue, c’était public, et l'on pouvait s’exprimer à ce moment-là. Mais ce n'était pas du même ordre. Ce n’était pas de l'ordre du discours mais de celui du cri. C’est vrai que j’ai eu la chance d’être à Paris à ce moment-là, de connaître, de rencontrer des femmes qui avaient été dans les mouvements 68, et qui les avaient quittés pour fonder des mouvements de femmes, et j’ai travaillé avec elles, j’ai fait des journaux, j’ai fait des revues, tout un travail intellectuel très important, qui m’a permis d’ouvrir les yeux – je me suis réveillée.

Parutions.com : Pourriez-vous nous présenter Shérazade ?

Leïla Sebbar : Shérazade, c’est le personnage de trois romans, une trilogie romanesque. D'abord Shérazade, 17 ans, brune, frisée, les yeux verts, où elle est à Paris, adolescente, une fille de l’immigration algérienne qui vit dans la banlieue parisienne, qui aime beaucoup la bibliothèque et les livres, et qui fait une fugue. Puis Les Carnets de Shérazade où elle fait un tour de la France avec Gilles, un routier, ce qui lui permet de revivre la marche contre la racisme de 1983 à travers les récits qu’elle peut faire et les villes qu’elle traverse avec lui. Enfin, Le Fou de Shérazade où elle va en Orient, un Orient qu'elle veut connaître car elle ne le connaît qu’à travers les livres ; elle va au Liban où elle est prise en otage par une organisation qui ressemble au Hezbollah, même si ça n'est pas dit dans le livre. Ensuite, elle va à Jérusalem qui est la deuxième ville de pèlerinage pour les Musulmans. Elle découvre un Orient politique qui n’est pas l’Orient des orientalistes occidentaux ; et elle revient, elle a une relation amoureuse avec Julien, qui est lui-même amoureux de l’Orient. A la fin du Fou de Shérazade, elle va jouer dans un film de Julien. Donc, c’est un personnage jeune, intrépide, une fugueuse, qui n’a peur de rien, ni de personne, qui se promène avec un P-38, l’arme des brigadistes italiens de l’époque, et un couteau à cran d’arrêt – c’est un personnage romanesque - évidemment – ce qui lui permet de ne pas être violée à un moment donné. C’est un personnage de contes : elle passe par un apprentissage comme dans les contes, elle subit des épreuves à mesure qu’elle avance, qu’elle voyage, et elle a comme dans les contes ce qu’on appelle des auxiliaires bienveillants, des personnes qu’elle rencontre, qui ont une grande bienveillance à son égard, et qui peuvent aller avec elle, qui peuvent être avec elle, et en qui elle peut avoir confiance. Et qui l’aident à découvrir la vie et ses trésors, comme il y a des trésors dans les contes…

Parutions.com : Comment ce livre se situe-t-il par rapport à vos autres livres – par exemple, la trilogie sur vos ''Algéries en France'' ?

Leïla Sebbar : La trilogie des ''Algéries en France'' (Mes Algéries en France, Journal de mes Algéries en France et Voyage en Algéries autour de ma chambre) obéit à la même démarche, avec un mélange de textes et un mélange iconographique. C’est aussi un récit à la première personne, qui se situe en France et en Algérie, et d’une certaine manière parle de l’inscription, des traces de l’Algérie en France, mais aussi, parfois, des traces de la France en Algérie. Mais principalement, c’est la présence de l’Algérie à travers des formes très diverses, l’historie algérienne en France à travers les hommes qui ont travaillé, les chibanis, les vieux ouvriers, les jeunes beurs, qui appartiennent tous à l’histoire de la France.

Parutions.com : Quel est le rapport entre votre texte et les illustrations de Sébastien Pignon ?

Leïla Sebbar : Il n’y pas un rapport forcement direct. L’iconographie, les images accompagnent le texte mais avec un léger décalage. Ce n’est pas simplement de l’illustration. C’est pour cette raison qu’il s’agit de dessins, de gravures, d’aquarelles ; il y a des photographies aussi, des photographies de la réalité quotidienne, les cafés, les écoles... la réalité quotidienne mais aussi ma réalité. J’aime ce mélange iconographique à l’intérieur du livre ; les pages manuscrites font partie aussi de l’iconographie, puisque c’est une calligraphie, chacun a sa calligraphie, sa couleur dans le livre.

Parutions.com : Les cafés, que signifient-ils pour vous ?

Leïla Sebbar : Le café, c’est un espace à la fois public et clos. J’aime ça. C’est clos, c’est-à-dire que c’est protégé. Je ne peux pas travailler dans un espace qui n’est pas protégé, clos soit par des étagères de bibliothèque, soit par des murs ou des tableaux, des images, des objets. J’ai besoin d’être protégée, je ne pourrais pas écrire dans le désert, sur une dune. Je ne pourrais pas faire comme Isabelle Eberhardt qui écrivait partout. Je pense que c’est dû à l’exil d’avoir besoin d’être entourée comme cela, comme dans une chambre d’étudiant. Dans une chambre d’étudiant, on travaille et l'on est enfermé. C’est une séquestration volontaire. Ce qui m’intéresse dans les cafés, c’est qu’il y a cet espace clos, où je peux faire ce que je veux à l’endroit où je suis, personne ne vient m’ennuyer, et en même temps, les autres sont là, ils ne sont pas hostiles, ce ne sont pas des ennemis, ce ne sont pas forcement des amis non plus, et je peux aussi être avec des amis. C’est ça que j’aime dans les cafés, le croisement du public et du privé.

Parutions.com : N’y a-t-il pas de cafés en Scandinavie… ?

Leïla Sebbar : Je suis allée au Danemark et j’ai beaucoup souffert parce qu’il n’y avait pas ces cafés – pas seulement des cafés français, d’ailleurs, parce que vous les trouvez aussi en Italie, en Espagne, dans la Méditerranée... Les cafés méditerranéens, c’est particulier. Au Danemark, peut-être parce qu’il fait plus froid aussi, les cafés sont davantage des salons de thé, fermés, très fermés, très cossus, et il n’y a pas de comptoir. J’avais été frappée par les jeunes gens qui buvaient des bières sur les bancs publics à l'extérieur de ces salons de thé, parce que, peut-être, il n’y avait pas d’alcool dans ces endroits… Mais, j’ai eu beaucoup de mal à vivre pendant quelque temps au Danemark, vraiment...

Parutions.com : Votre livre va de la campagne, la Dordogne, la France de votre mère, à la France parisienne, la France vivante et révolutionnaire de mai 68. Quelle est la France d’aujourd’hui pour vous ?

Leïla Sebbar : Quand je voyage à travers le pays, je retrouve la France que j’aime. Je la retrouve dans les villes, je la retrouve dans les campagnes, je la retrouve dans les paysages ; elle n’a pas disparu. Mais, je trouve quand même que, d’un point de vue urbanistique, elle s'est beaucoup américanisée. En plus de MacDo et de Starbucks, le fait qu’il y ait des grandes surfaces commerciales à l'extérieur des villes, et qu’à l’intérieur des petites villes en particulier il y ait de moins en moins de petits commerces, je trouve cela catastrophique. Vraiment catastrophique. Parce que quand vous allez le dimanche dans ces villes, vous êtes dans une sorte de désert. Il faut aller à Auchan ou Carrefour pour voir des gens. Vraiment. Ça me rend très malheureuse. Et j’ai peur que ce soit un phénomène irréversible.

Parutions.com : Avec la crise économique et politique, la montée du Front national et du racisme, les journaux ne donnent pas une vision optimiste de l’état ou de l’avenir de la France. Qu'en pensez-vous ?

Leïla Sebbar : On dit que la France est un vieux pays, ce qui est vrai. Ce qui veut dire qu’elle a une histoire ancienne, et elle a toujours trouvé l'énergie pour rebondir, pour vivre. La France est le pays européen où la natalité est la plus forte, et quand il y a une jeunesse, c’est aussi la vie qui est là. Quant à la question du racisme, je pense que la France n’est pas raciste. Je vis depuis assez longtemps en France pour savoir qu’elle n’est pas raciste. S’il y a entre 3 et 5% de Français véritablement, profondément racistes, 3%, ce n’est pas la France. 5%, ce n’est pas la France. La France dans son ensemble est véritablement une terre d'accueil. Je ne connais pas d'autre pays où l'hôpital public soit ouvert à toute personne qu’elle soit française ou non, qu’elle ait les moyens pour payer ou non. C’est la même chose pour l’éducation nationale, tous les enfants, même les enfants de clandestins, vont à l’école. Je trouve que la culture est aussi abordable pour tous, le sport est aussi abordable pour tous. Vraiment ! Je ne fais pas un éloge déconnecté de la réalité. Je connais bien ces situations, je vais souvent dans des lycées, dans des collèges de grande banlieue, et je vois tout ce qui est mis à la disposition des jeunes.
Mais il faut savoir aussi utiliser ces moyens, utiliser des gymnases, des bibliothèques. Moi, j’y vais ! Le réseau de bibliothèques en France est le meilleur d'Europe. Il est extraordinaire. Si on se promène en France, on voit qu’il y a partout des bibliothèques, des bibliobus, un réseau culturel gratuit. Réellement ! Je le dis parce qu’on ne le dit pas assez. C’est aux habitants, étrangers ou non, de profiter des moyens qui leur sont donnés. Et de cesser de pleurer ! De cesser de se lamenter, de se penser en victimes. Car c’est faux. Les victimes, il y en a, mais elles ne sont pas là. Le vrai problème, c’est qu’il y a une inertie, une grande inertie, une grande résignation, une grande victimisation. Ce que je trouve regrettable, c’est qu’on soit - et les médias, et les politiques actuels, le parti socialiste compris - dans un discours politiquement correct, en permanence. Je suis assez malheureuse de cette situation, qui est une situation de malheur qu’on se fait à soi-même. Je ne sais pas qui pourra changer ça.

Parutions.com : L’épilogue de l'ouvrage ne parle ni de la France ni des Frances, mais du livre de Gutenberg. Pourquoi ? Quel rôle joue le livre dans votre idée de la France ?

Leïla Sebbar : La France, je l’ai connue par les livres. Quand j’étais enfant en Algérie, même si on allait en France assez régulièrement, on allait seulement en Dordogne. On ne voyageait pas en France. Donc, la France, je l’ai connue dans les livres ; on a lu beaucoup de livres. J’ai deux sœurs et un frère ; à chaque fête, à chaque anniversaire, à chaque occasion, on avait des livres. J’ai toujours eu des livres, depuis la petite enfance. J’ai vu la France dans ces livres-là. Ensuite, j’ai vu la France que je voulais voir dans d’autres livres, et puis, la France que je veux voir dans mes livres.

Parutions.com : Vous parlez de votre écriture à travers le livre – vous évoquez, par exemple, votre journal ferroviaire, ou le garçon au Sélect qui vous donne la nappe de papier, blanche et verte. Comment préférez-vous écrire ? Où ? Quand ?

Leïla Sebbar : Dans les cafés, quand j’écris, j’écris des fragments. Des fragments, des notes, je prends de notes très souvent. Et quand je n’ai pas de papier, c’est vrai, je demande au garçon – pas seulement au Sélect, mais ailleurs aussi –, je demande un morceau de nappe ou de papier. Mais quand j’écris une nouvelle, un roman, un texte sur le long terme, je l’écris où nous sommes maintenant, dans ma chambre. Enfermée, dans ma chambre, avec personne. Personne ne doit entrer, je dois être seule. Et j’écris avec du papier et un stylo. À la main. Je n’ai pas d’ordinateur ; je n’ai jamais tapé à la machine non plus. Pas par rejet de la modernité, non. C’est un plaisir dont je ne veux pas me priver. C’est aussi un luxe. Parce que quand j’écris mes textes, je ne peux pas les donner manuscrits à l'éditeur, donc je dois les faire taper. C’est un luxe que je m’accorde.

Parutions.com : Que lisez-vous ? Pour votre travail ? Pour le plaisir ?

Leïla Sebbar : Ce que je lis pour le plaisir est très varié. Je lis la littérature contemporaine, je lis la littérature étrangère, je relis les auteurs que je préfère, que je continue à aimer – parce que quelquefois on a aimé un auteur ou un écrivain, et puis on le relit et, ce n’est pas qu’on ne l’aime plus, mais on ne l’aime plus autant. Je relis indéfiniment À la recherche du temps perdu. Quand je vais dans un pays étranger, où je suis arrêtée plusieurs jours pour mes livres et que j’ai peur de m’ennuyer, j’emporte dans la Pléiade À la recherche du temps perdu. Je sais ainsi que j’ai beaucoup de pages à lire. À relire. C’est aussi un grand plaisir que tout cela existe. Je ne m’en passerais pas. J’avais dit un jour à mon père que la prison ne me faisait pas peur parce que je pourrais écrire et lire, que je n’aurais pas de difficultés à être incarcérée – quand on a été en pension pendant des années, on a l'expérience de l’enfermement –, et mon père, qui a été arrêté pendant la guerre d’Algérie et qui a fait de la prison, s’est mis en colère. Il m’a dit : «Je ne veux plus t’entendre dire des choses pareilles !» Bon... je ne suis pas allée en prison...

Parutions.com : Quelles sont vos inspirations ?

Leïla Sebbar : Je ne sais pas. Si vous avez lu les livres que j’ai écrits, vous pouvez les deviner. Ce qui m’inspire, c’est en général le mouvement et le déplacement liés à l'exil, à toutes sortes d’exils. Le passage, les frontières que l’on doit passer, comment vivre dans un pays étranger, comment ne pas avoir le sentiment qu’on a abandonné et trahi son propre pays. Toutes ces questions-là qui s’attachent à l’exil, que l’exil soit choisi ou contraint. Et toutes sortes de personnes, de gens, d’histoires politiques, personnelles ou familiales. C’est ça qui m’intéresse, qui m’inspire,.

Parutions.com : Quels sont vos projets en cours ?

Leïla Sebbar : Je n’en parle pas en général. Non. Je n’en parle pas tant que ce n’est pas en route, très avancé, près de la fin. Je n’en parle pas.

Parutions.com : Le même besoin d'écrire protégée et enfermée ?

Leïla Sebbar : Oui, bien sûr. Préserver l'écriture, la garder. C’est à moi.

Parutions.com : Merci beaucoup.


Propos recueillis le par Mari Berg Henie, le 25 novembre 2013
( Mis en ligne le 18/12/2013 )
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