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Monter à bord
Entretien avec Margaret Wrinkle - (Wash, Belfond, Septembre 2014)


- Margaret Wrinkle, Wash, Belfond, Septembre 2014, 413 p., 21.50 €, ISBN : 978-2-7144-5595-6
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Parutions.com : Comment pensez-vous que Wash va être reçu par votre nouveau lectorat français ?

Margaret Wrinkle : Cela faisait 30 ans que je n'étais pas revenue à Paris et, en l'espace d'une semaine, j'ai été rassurée par le rapport des Français à la littérature. Les gens ici lisent et aiment partager leurs impressions de lecture, plus qu'aux Etats-Unis je crois. Mes lecteurs français verront sans doute dans ce roman une histoire typiquement américaine puisqu'il y est question d'esclavage. Mais mon livre parle aussi de la confrontation et de la conjugaison de perspectives différentes, ce qui est universel par contre. J'espère qu'ils verront aussi cela.

Parutions.com : Il y a en effet un intérêt chez les Français pour ce thème de l'esclavage.

Margaret Wrinkle : Beaucoup d'Américains ont fuit le racisme pour Paris, James Baldwin par exemple. L'immigration est une question centrale en Europe aussi, et une réalité qui force ce dialogue entre différentes cultures. Mon roman parle avant tout de cela, du dialogue entre les différences.

Parutions.com : Vous recourrez dans l'écriture à un mélange de langages, associant la langue moderne à des dialectes. Avez-vous pensé au passage de l'anglais au français, à l'impact que cela pourrait avoir sur la musicalité de l'écriture ?

Margaret Wrinkle : Vous avez raison et j'espère que la traduction rend cela. C'est important car le dialecte des noirs-américains du Sud est très musical et imagé. Je crois que cela vient du fait que ce langage s'inscrit d'une tradition orale où images et métaphores sont très présentes. Mais le français est aussi une langue musicale. L'un de mes amis traducteurs, qui a vécu en Alabama pendant 30 ans, a lu la traduction et l'a approuvée, à quelques petites réserves prés. J'ai aussi demandé à Malidoma Somé, un docteur de la Sorbonne qui vient d'Afrique de L'Ouest, de vérifier quelques termes, notamment ceux liés à des cérémonies afin de m'assurer que j'avais tout retranscrit proprement.

Parutions.com : Votre écriture est passionnante, notamment par le recours à la photographie. Qu'est-ce qui vous a amenée à effectuer ce voyage et prendre les photos que vous avez ensuite utilisées dans le livre et une exposition ?

Margaret Wrinkle : Tout a commencé en bibliothèque. A Birmingham (Alabama), le fonds concernant le Sud des Etats-Unis est incroyable, et j'ai pu ainsi lire des ouvrages sur l'esclavage des origines à nos jours, et remarquer les évolutions au fil du temps dans les valeurs et les représentations, comprendre à quel point ces sources secondaires offraient une vision partiale et biaisée des réalités, qu'il fallait avoir conscience de qui contrôlait alors les messages, les affiches posées par des propriétaires de plantations pour retrouver des esclaves en fuite, par exemple. Les noirs à l'époque cultivaient certes une tradition orale, mais ils étaient aussi maintenus dans l'illettrisme par des maîtres qui gardaient le contrôle de la production écrite. Leur réalité n'a donc pas été véritablement dite. Il me fallait donc aller plus loin que la bibliothèque et voyager à différents endroits où ces esclaves avaient vécu, ressentir autant que possible leur énergie, car tout est question d'énergie et de représentations dans cette culture ; cela a façonné ces lieux, j'en suis convaincue. J'ai par exemple cherché pendant longtemps les cimetières où ces esclaves étaient enterrés, ce qui n'était pas facile car on ne sait pas toujours où ils sont. Il y a aussi des musées, bien sûr, mais ces derniers participent aussi à la construction d'un mythe. J'ai toujours été photographe et les photos m'aident à voir plus clair, à deviner ces représentations, des occurrences qui font sens, des connections qui émergent d'une photo à l'autre.

Ces histoires relèvent aussi de quelque chose de beaucoup plus compliqué et intime. Je suis héritière de ces histoires, j'appartient à la septième génération. Mon écriture est aussi passée par la prière et la méditation, ce qui aide à se plonger dans ce monde, comme Alice plonge dans le terrier du lapin, comme un plongeur en apnée qui descend autant qu'il le peut pour remonter autant de perles que possible. Il s'agit en effet aussi d'une exploration du subconscient car je crois que nous sommes tous connectés par ce biais, qu'il y a en nous des mondes à défricher. Mon processus d'écriture passe donc aussi par la réverbération de ces réalités enfouies, ce qui est beaucoup plus riche que la simple création littéraire. C'est là que j'ai trouvé l'essence de mes personnages, dans ce ressenti.

Parutions.com : Que pouvez-vous dire du rapport entre ces lieux et les histoires ?

Margaret Wrinkle : J'ai visité ces endroits réels qui ont ensuite inspiré des moments de l'histoire, comme la maison que l'ancêtre construit. Mais j'ai dû arrêter ces excursions une fois que les personnages étaient là. Parce que ces lieux cessaient alors d'être réels. La maison dans le Tennessee, les marécages de Caroline ont pris vie de la sorte mais une tension a immédiatement surgi entre le lieu physique et sa reconstruction romanesque. Ce n'était plus la même chose. Comme pour Wash et Richardson : pour que l'histoire de l'un existe, celle de l'autre devait passer au second plan, et inversement. Je savais qu'ils ne voulaient pas être ensemble dans le même livre. Je savais qu'ils devaient pourtant partager un même espace. Ils sont à pieds d'égalité dans l'histoire.
La structuration du récit fut l'élément le plus difficile ; comment lier autant d'histoires, dans quel ordre ? Dans le rythme du récit, il m'a fallu effectuer des allers-retours pour construire ce puzzle. La plupart du temps, à l'écriture, je ne savais pas où j'allais. Pour un écrivain, je crois qu'il est capital de cultiver cette tolérance à l'incertitude.

Parutions.com : N'y a-t-il pas comme un fatalisme dans ce constat ?

Margaret Wrinkle : Oui, tout à fait, mais en même temps, si vous vous entêtez à prendre une chemin afin d'avancer dans le récit, quand vous revenez sur le résultat, vous ressentez à quel point c'est préfabriqué et plus du tout ''réel''. Je me rappelle à quel point parfois je me battais avec l'écriture. Un ami me disait de lâcher prise et de me consacrer à quelque chose avec quoi je me sentais à l'aise. Moi, je sentais que je devais grandir avec l'histoire et en comprendre les enjeux. Tant que je n'avais pas atteint ce point de maturation, je pouvais malgré tout avancer en nettoyant des passages antérieurs, vérifier mes sources, avancer dans l'histoire en restant en seconde vitesse si vous voulez.

Parutions.com : A quel moment le sens de l'histoire vous est-il apparu ? Est-ce arrivé avant que vous ne réalisiez le documentaire ?

Margaret Wrinkle : Le documentaire est construit comme le roman, avec une tressage des perspectives. Il fallait néanmoins ajouter ce que les personnages ne pouvait dire ; ce fut le choix de la voix off. La structuration d'une intrigue filmée, selon les codes occidentaux contemporains, passe par une série d'étapes, d'actions, de coups de théâtre et de retournements s'enchaînant les uns aux autres. Dans la réalité indigène, l'expérience du temps est tout autre ; il n'y a là rien de linéaire et les expériences se font dans une sorte de présent permanent, ce qui est traduit par des monologues. Le ''je'' raconte de manière intemporelle alors que la troisième personne est peut-être plus linéaire. Dans mon approche, je savais que je devais réconcilier ces deux façons de faire. A partir de cette prise de conscience, je pouvais aller de l'avant.

Parutions.com : Quel lien faites-vous entre l'écriture d'un roman et la réalisation d'un film ?

Margaret Wrinkle : Je me vois avant tout comme un artiste visuel. On m'a appris à observer, à être dans l'instant d'une scène, totalement. La plupart des gens voient l'esclavage comme quelque chose de lointain et de réglé. J'ai voulu créer une expérience donnant le sens que, au contraire, c'est encore là, maintenant. Je voulais suggérer cette présence à soi de l'événement.

Parutions.com : Est-ce que les personnages de Wash renvoient à des personnes de votre entourage ?

Margaret Wrinkle : Des personnes m'ont inspirée, oui, mais l'écriture en a fait quelque chose d'autre. J'ai rencontré un homme dont les ancêtres furent la propriété des miens. J'ai passé du temps chez lui et sa femme ; c'est quelqu'un de remarquable. Je lui ai posé la question des rumeurs sur l'élevage d'esclaves. Il m'a répondu que la plupart des gens sont motivés par l'amour et l'argent mais que l'argent est tout en bas de la liste. Tout était dit. Wash vient en partie de lui. Certains auteurs pensent qu'ils créent leurs personnages ; moi je crois que je les rencontre. Je crois que ma vie m'a conduite à entendre ces histoires, à entrer dans des relations dont je m'apercevrais plus tard qu'elles entreraient aussi dans mes fictions. De petites choses, des détails que vous remarquez plus tard, et vous comprenez alors d'où vous sont venues les inspirations.

Parutions.com : Vous croyez dur comme fer que l'histoire vous a trouvée, n'est-ce pas ?

Margaret Wrinkle : Mais c'est vraiment le cas ! Beaucoup d'écrivains ne le reconnaissent pas par orgueil. Moi, je n'ai pas de souci avec mon ego.

Parutions.com : Il y a une très belle image dans le roman au sujet de l'océan, entre Wash et Mina, pouvez-vous nous l'expliquer ici ?

Margaret Wrinkle : Elle essaye de lui enseigner que quelque chose unit tous les êtres et elle se sert de l’exemple de l'eau comme élément connectant un tout.

Parutions.com : Avez-vous l'intention de poursuivre ce type d'écriture, raconter des histoires qui clament d'être dites, en adoptant une position neutre ?

Margaret Wrinkle : Il y a toujours une victime, un bourreau et un témoin. Ce fut une prise de conscience importante pour moi parce que j'ai accepté de jouer ce rôle de témoin et dire ce que j'ai vu et ressenti. J'ai été coutumière de ce type de position dans ma vie, jouer le rôle de passerelle, me retrouver au milieu. Ce n'est pas toujours facile mais c'est une place dans laquelle je sens que je joue un rôle justement. Accepter de tenir sa place entre deux côtés d'une histoire, sans être inutile.

Parutions.com : Entrevoyez-vous d'autres histoires de ce type à raconter ?

Margaret Wrinkle : Oui, et je suis impatiente de m'y remettre ! Mais le film et le roman ont déclenché des choses, ils ont lancé un débat qu'il faut maintenant avoir. Je suis assez douée pour créer ces discussions et je suis heureuse de jouer ce rôle à présent. Mais les histoires attendent oui, elles font la queue. Il faut que je m'abandonne à ces mondes en me soustrayant au nôtre. J'aimerais parfois monter sur un cheval et passer d'un monde à l'autre, tout recommencer et me consacrer tout entière à la prochaine histoire.

Parutions.com : Qu'en est-il de la réception du roman ? Est-ce que cela vous rend nerveuse ?

Margaret Wrinkle : J'ai toujours été très sérieuse au sujet de ce livre. Je crois qu'il faut se lancer tête baissée dans une entreprise comme celle-ci. J'ai pensé que je serais attaquée pour écrire, moi, une femme blanche, au sujet de l’élevage d'esclaves en développant le point de vue de l'un d'eux. Mais je ne suis que l'instrument de l'histoire. Je suis très fière que l'on salue finalement ce travail car j'y ai consacré beaucoup de temps. Mais en même temps, il s'agit d'une autre dimension ; cela ne me concerne plus vraiment. Ce qui compte pour moi est comment je me mets au service de l'histoire. Le reste ?... Une critique du New York Times a quasiment posé la question de ma légitimité à écrire cette histoire. Un poète noir-américain a affirmé que oui, que j'en avais le droit, ce qui a donné de la force à ma position et aidé d'autres personnes à monter à bord.

Parutions.com : Merci beaucoup.


Entretien mené en anglais par Simone Warner le 13 octobre 2014 (Traduction : Thomas Roman)
( Mis en ligne le 03/12/2014 )
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