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La chronique de Nicolas d'Estienne d'Orves : Houellebecq ; tout seul
Michel Houellebecq   Plateforme
Flammarion - Au milieu du monde 2001 /  20.03 € - 131.2 ffr. / 370 pages
ISBN : 2-08-068237-7
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Le talent, ça dérange. Surtout lorsqu’il est couronné de succès. Surtout lorsque la critique doit rendre les armes devant un don manifeste, et que le public ne prend même plus la peine de la consulter, car il fait désormais confiance à l’auteur. Nous ne sommes plus habitués aux "personnalités" littéraires, aux tempéraments d’écrivains. Aujourd’hui, un grand auteur doit être académicien, directeur de revue, figure parisienne, chef de file…

Michel Houellebecq, lui, n’est rien de tout cela.
C’est un curieux météore, sale et ébouriffé, qui ne cherche pas à faire école, qui a sûrement une très haute idée de lui-même, dont les mœurs ne nous regardent pas, qui provoque sans chercher à choquer, qui fuit en Irlande le microcosme parisien mais inonde les couvertures de magazines.

Depuis quelques jours, il est le "Big Brother" des lettres françaises. Son œil torve et acéré recouvre toutes les gazettes où la critique lui accorde un salut presque unanime. Cas rare, chez un écrivain qui fut parfois conspué pour son roman précédent, Les Particules élémentaires, dans lequel la misère sexuelle contemporaine était le dernier stigmate d’une disparition génétique du genre humain, avant l’avènement d’une race supérieure.
Après ce texte au succès foudroyant, et dont l’échec au Goncourt fut un pied de nez raté qui fait encore glousser, on se demandait ce que Houellebecq pouvait écrire. N’avait-il pas tout dit ?

On lui devait des poésies sombres, contemporaines et classiques ; quelques chansons ; un remarquable essai sur H.P. Lovecraft (sa thèse étant que le génie visionnaire de l’écrivain viendrait tout droit d’un racisme viscéral !) ; un premier roman très remarqué chez Nadeau, Extension du domaine de la lutte, sorte d’auto-fiction sur la vie d’un cadre supérieur dans une entreprise d’informatique…

Après tout cela, on croyait qu’il avait fait le tour.
Houellebecq pouvait dès lors rester un phénomène isolé, une galaxie à part, sans doute vouée à une stérilité précoce. Placard commode ; car, pour beaucoup, la provocation ne peut que gommer la lucidité d’un texte ; en atténuer les rigueurs.

Pourtant, Houellebecq persiste et signe. Et nous n’avons pas fini d’entendre parler de Plateforme… Après la petite entreprise et les manipulations génétiques, son troisième roman s’attaque au "tourisme sexuel". Mais j’ai tort d’écrire s’, car le livre n’a rien d’une dénonciation en bonne et due forme de ces voyages érotiques organisés pour des occidentaux bedonnants, dans les pays du Tiers-Monde.

Non point. Houellebecq ne joue pas les imprécateurs, les procureurs. Il gratte là où ça fait mal ; il pose le doigt sur les grandes douleurs contemporaines, et presse sur les plaies jusqu’à ce qu’elles se rouvrent.

C’est pourquoi, en lieu et place d’un réquisitoire, il a choisi la satire, presque la pochade ; et c’est là son talent. Car son livre est une sorte de fresque hilarante d’un profond cynisme et qui, en comparaison avec ses œuvres précédentes, plus théoriques, paraîtra d’une singulière légèreté.

Pourtant, le thème n’a rien de poilant : un homme vient de perdre son père, il touche un petit héritage et part deux semaines en Thaïlande. Là-bas, il découvre les joies d’un tourisme "très spécial", au milieu d’une faune de "beaufs" patentés, qui sont ici pour se faire turlutter par des nymphettes à peine pubères.

Il découvre aussi Valérie -première héroïne romantique de Houellebecq- et l’Amour. Mais Valérie travaille elle-même dans le tourisme de groupe et, de retour à Paris, se lance avec son nouveau compagnon (notre héros se nomme d’ailleurs…Michel) dans la mise au point de villages tropicaux, voués aux seuls plaisirs de la chair.

Ce problème passe cependant au second plan et, hormis quelques digressions économiques parfois lourdes, l’écrivain s’est concentré sur la description d’une passion sincère, d’un tourbillon sensuel qui est aussi amour réel et qui, selon sa vision du monde, ne peut aboutir qu’à l’échec.

On ne pensait pas Houellebecq aussi tendre, aussi romantique. Toutefois, à bien y regarder, tous ses livres sont, de manière parfois radicalement opposée, marqués par la quête de la pureté, de quelque chose de plus beau, de plus humain. A la recherche du sublime. De l’inavouable, de l’indicible.
Et c’est toujours le sexe qui incarne la ligne de crête entre l’extase et l’abîme : le sexe dans l’amour/le sexe sans amour.

En fait, Houellebecq est notre dernier écrivain romantique, idéaliste, torturé. Il aurait été plus à sa place au XIXème siècle. Mais la satire (partie, avouons-le, la plus immédiatement réjouissante de ce livre) n’eut guère été aussi franche et crue sous Napoléon III.

Car dans Plateforme, on ne peut que jubiler devant les passages sur le fameux Guide du routard, ici pointé comme le dernier avatar de la médiocrité occidentale face au Tiers-Monde (ce qui va sans doute valoir un procès aux éditions Flammarion, pour la plus grande joie de ces dernières).

On ne peut que s’esclaffer devant les figures presque rabelaisiennes qui peuplent ces camps de vacances : couples essoufflés, cadres obsédés, cochonnes aux aguets, célibataires en chasse… et là, Houellebecq retrouve la franchise de trait d’un Daumier.

Enfin, on ne peut que reconnaître la perfection stylistique de l’auteur qui, par une écriture faussement blanche, fait preuve d’une maîtrise de la langue et de la prosodie française d’une admirable pureté. On a souvent reproché à Houellebecq son absence de style (et la critique très favorable que lui a accordé François Nourissier dans le Figaro magazine concluait sur cette réserve stylistique). Mais il est la preuve qu’il n’est pas besoin de jeux de manche pour démontrer son talent ; que le propos est aussi important que sa forme, et que l’auteur s’efface toujours devant son sujet. Ce qu’on appelle le classicisme.

Bref, même si pour ma part je préfère la froideur médicale des Particules aux ricanements tropicaux de Plateforme, Michel Houellebecq est un vrai écrivain, un grand ; doublé d’un romancier à la technique infaillible.


Nicolas d'Estienne d'Orves
( Mis en ligne le 03/09/2001 )
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