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La chronique de Nicolas d'Estienne d'Orves : Gaieté française | | | Benoît Duteurtre Le voyage en France Gallimard - Blanche 2001 / 17.4 € - 113.97 ffr. / 295 pages Médicis 2001 Roman Français ISBN : 2070758966 Imprimer
Ah, la France ! Sa légèreté, son maintien, sa culture. Cet héritage millénaire de raffinement et délégance. Ce petit rien qui en fait le phare de la pensée, du bon goût, de lhumour. La terre des peintres, des penseurs, des stylistes. Une sorte denclave bénie. Un éden oublié. Un paradis perdu
Telle est limage que notre triste hexagone offre à David. Ce jeune new-yorkais, enfant naturel dune américaine et dun français "de passage" quil na jamais connu, sest élevé tout seul, dans la fascination presque pathologique pour une France rêvée, à mi-chemin entre le Lagarde et Michard et Amélie Poulain. Et lorsque enfin ! - il se décide à faire le grand voyage, le grand saut, cest parce quil se sent prêt à découvrir la civilisation, la vraie !
Certes, les paquebots nexistent plus, alors il voyage en cargo. Certes, le Havre est différent des tableaux de Monet et le peintre a donné son nom à une ZUP. Certes, la bohème parisienne ressemble plus à un magasin de luxe hanté par des S.D.F. Certes, les Français nont dautre passion que de singer les Américains.
Pourtant, David ne désespère pas. Il cherche, il furète, il enquête. Quest cette belle France devenue ? Où sont donc les petits commerçants, les aimables penseurs, les poètes dun soir, lâme légère et la supériorité dune nation quil croyait unique et qui savère la triste copie de ce quil connaît depuis sa naissance ?
Pour son nouveau roman, Benoît Duteurtre jongle avec les faux-semblants et les désillusions dun Candide moderne. Cest un texte drôle et cynique, tendre et désenchanté, où se lit en filigrane une critique pointue et sans appel des dernières décadences du vieux monde. Ce qui commence comme une fable cocasse sachève en sombre parabole.
Linnocence du héros, celle du pays quil visite, mais aussi celle du lecteur, volent en éclat et se brisent sous la plume du romancier, qui joue une petite musique dautant plus violente quelle est insidieuse. Nous sommes dans un monde agonisant, dont les derniers soubresauts font encore illusion mais qui va bientôt séteindre dans le grand mimétisme universel. La France vit dans la fausse idée quelle a delle même ; mais ce nest que la contemplation narcissique de sa propre agonie culturelle. Présenté comme ça, le livre semblera bien pesant. Mais cest tout le contraire.
Voici le livre le plus joyeux, le plus drôle, le plus grinçant de la rentrée. Le désenchantement, les illusions perdues, la perte de linnocence, les vanités, tels sont les thèmes entremêlés dans cette sorte dopérette tragique, narrée avec un charme faussement désuet par un véritable moraliste. Le style de Duteurtre est dune netteté, dune précision imparables. En vrai conteur, il entraîne son lecteur à sa suite, ne labandonnant quà la dernière page, pour lui laisser méditer ses plus beaux tours de passe-passe.
Nicolas d'Estienne d'Orves ( Mis en ligne le 28/09/2001 ) Imprimer
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