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Les bourreaux sont plats
Eric Vuillard   La Bataille d’Occident
Actes Sud - Babel 2014 /  8 € - 52.4 ffr. / 180 pages
ISBN :  978-2-330-03064-3
FORMAT : 11,0 cm × 17,6 cm

Première publication en mars 2012 (Actes Sud)

Voir aussi :

- Eric Vuillard, Congo, Actes Sud (Un endroit où aller), Mars 2012, 95 p., 15.30 €, ISBN : 978-2-330-00619-8

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Éric Vuillard n'a pas froid aux yeux : dans deux petits récits, il nous livre d'un côté la Grande guerre, de l'autre la colonisation. Coquet défi, puisqu’il s’agit de fourrer deux Vésuve, plus ou moins, dans deux dés à coudre.

Le premier opuscule, La Bataille d'Occident, a la puissance des choses longuement méditées, mais si loin, si fort, que le cerveau rompu a du mal, à la fin, à recoller les morceaux. Puis il y a ceci de gênant, su par Vuillard avant même d’écrire : la guerre est absurde. Dès lors, que peuvent l’attaque et le style, même vifs, rythmiques, d'Éric Vuillard, et ses images comme des silex ? Rien, bien sûr, et l'auteur le sait. Que faire ? Au commencement, il faut bien dire, mais si tout est vain – idiot ? Si tout, absolument, délire ? On peut bien tailler quelques belles métaphores, trousser de fins raccourcis : n’est-on pas charlatan ? On le fait quand même, et d’abord, on chante le on, on chante ce roi sans couronne dirigeant tout d’une souveraineté d’eunuque, tandis que se célèbrent les noces des masses et de la technique. On montre, dans La Bataille d’Occident, l'énorme écorchement, que rien ne rachète, de millions de jolis cœurs rasés de frais ; le comte Von Schliffen ruminant des années son plan de maniaque ; la conscription révolutionnaire dégradée en boucherie nationaliste ; le jeune Gabriel Princip aux yeux de chien battu. On fait tout ça – à quoi bon ? On ne retient que l’énorme stupidité, l’Occident à front de taureau. Ne reste plus qu’à le coiffer, pour la millième fois, d’un bonnet de bouffon équarisseur.

L’Europe, il y a un siècle, est sorti de ses gonds. Qui ? Personne. Quand ? On ne sait. C’est «l’effroyable machination du rien. Car en un sens personne, pas la plus petite âme, ne participe à l’élaboration réelle de tout ça». Un écrivain a tout dit quand il a dit «rien»… Terminus, personne ne descend ! Si l'Histoire est une mécanique folle, l’Occident un fou fatal, si «on dit «oui», on ne sait dire que ça», si pas un homme ne s’avance pour dire un mot, pour sauver l'honneur – que reste-t-il ? Le dégout. Or que sont le dégout, le mépris, à un écrivain ? Deux pompes à air. Il faut savoir un peu aimer la stupidité des choses, et des êtres : Éric Vuillard y parvient mal. C’est sa petite mort. Son talent, heureusement, le retient de tomber parmi les misanthropes poseurs et les progressistes cocus.

Si sa Bataille d'Occident frappe par sa belle puissance, son Congo prend l’eau. Vuillard railleur et badin y baisse les bras, comme s’il se reconnaissait dans les scientifiques qu’il nous montre épluchant des cervelles d’assassins, afin d’extraire de ces éponges aux milliards d’alvéoles la poussière d’enfer qui est la source de tout le mal. Il y avait bien l'effroi. Mais sait-on encore ce que c’est ? À travers un microscope, tout est si froid, si mort – qu’on soit écrivain, historien ou savant fou. Reste le ricanement donc, l’humour noir, lesquels raniment un peu leur écrivain quand, vraiment, ça ne va pas fort. Voici : dans les années 1880, écrit Vuillard dans Congo, l’Occident «s’emmerde». Comprenez : ça va chier. Tout le malheur de l’Occident, on le sait, est de ne pas savoir se tenir en repos dans sa chambre. Alors, comme le roi Léopold avec son Congo, on se taille un jardinet à soi, dont l’acte notarié s’écrit dans le corps des autres. Tant de grabuge, se lamente Vuillard, est-ce bien raisonnable, quand on pourrait rester chez soi pépère, à se parfumer la barbe ? Les entrepreneurs en hécatombes ? Grands mômes, chiards cacochymes, monstres puérils ! L’air est connu.

Vuillard est pourtant un écrivain, et brillant, c’est-à-dire que même embourbé, il court à l’essentiel : «C’est qu’alors on traversait l’Afrique en tous sens, on voulait découvrir son secret, les imbéciles sources du Nil, savoir où est le cœur de la grande forêt. Mais l’Afrique n’a aucun secret, personne n’en a, nous ne sommes qu’estuaires, deltas et marécages» Relisons : ''les imbéciles sources du Nil''. Vous voulez dire : les mêmes que l’Occident tient, bien ou mal, pour ce qu'au monde il y a de plus précieux – de plus désirable ? ''Les imbéciles sources du Nil'' ? Salut ! Joli, comme crachat ! Pour tout dire, ces cinq mots violents comme un grabataire éconduit sont les plus forts de Congo. Et ce n’est pas tout : rien de plus crétin, est-il encore décrété, que de chercher «le cœur de la grande forêt». Comme tout ce qui en Europe et depuis mille ans a tenu une plume, peint une toile, affrété un vaisseau – un peu aimé? Parfait ! Roulez vieillesse !

Que dire, alors, foutredieu, de l’assassin du Congo, du Belge Léon Fiévez ? De ses paniers de mains coupées ? Deux ou trois choses, puis rien : «Il n’y a pas de mystère Fiévez». C’est fini. Les sources sont taries, le cœur absent, la forêt creuse. D’ordinaire, l’écrivain se ravigote à la chaleur des secrets. Il se chauffe, avec délices, au bon feu des mystères. Le mystère, selon Vuillard ? L’idiot utile de l’écrivain : on lui ferait dire, pour la cause, n’importe quoi. Vuillard au début fait comme si – il faut bien écrire, même cent pages. Et finalement rien, rien, rien ! Purin partout, mystères nulle part. Éric Vuillard est-il probe, ou simplement las ? Continuer de suer sang et eau pour des clopinettes ? Ô lecteur vicelard, mon semblable, mon frère, sache-le ! Il n’y a rien sous les jupes de l’Horreur, que des os broyés.

Alors, lecteur renseigné, voyeur contrit, te voilà gros-jean comme devant ? «Mais… la Littérature?», gémis-tu… «On m’aurait menti ?» Plainte légitime ! Quel est ce rabat-joie, ce Vuillard, pour jeter ainsi par la fenêtre des bibliothèques entières, avant de déclarer, pichenette sur plusieurs grands nez ayant villégiaturé à la lisière des charniers, que des bourreaux, il n'y a rien à dire ? Permettez ! A-t-on consulté la société des amis de Jonathan Littell ?

Pour les toqués du mal, de son «mystère», enfin pour tous les amants de dame littérature, le coup est dur. Un réconfort cependant, tout arithmétique : Vuillard clame en cent pages que les bourreaux ne nous disent rien, tandis que Littell montre en mille qu’ils disent énormément. On ne dira pas que les écrivains sont inconséquents...


Jean-Baptiste Fichet
( Mis en ligne le 31/03/2014 )
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