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La vision d’un journaliste | | | Philippe Labro ''On a tiré sur le Président'' Gallimard - Folio 2015 / 7.50 € - 49.13 ffr. / 291 pages ISBN : 978-2-07-046575-0 FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm
Première publication en octobre 2013 (Gallimard - Blanche) Imprimer
Le journaliste Philippe Labro (né en 1936) se trouve à luniversité de Yale dans le Connecticut pour un reportage quand il apprend, ce 22 novembre 1963, lassassinat de John Fitzgerald Kennedy (1917-1963), le trente-cinquième président des États-Unis. Alors quil interviewe un étudiant sur le campus, il voit un point se rapprocher progressivement du petit groupe quil constitue alors, gesticulant, prenant peu à peu forme humaine, annonçant alors la tragédie.
Labro le reporter senvole tout de suite pour Dallas et simmerge dans latmosphère du meurtre, celles houleuse et brumeuse des commissariats, des salles de presses, des rues et des hôtels de la cité texane, afin denquêter et décrire ses articles pour France-Soir, le quotidien pour lequel il travaille. Lévénement est planétaire et Labro reconstitue plutôt brillamment le contexte social et politique de lépoque. Telle est lhistoire de ce projet : dun côté, un jeune journaliste aux prises avec un événement considérable, et laffaire JFK dont on célébra récemment le cinquantenaire.
Le livre est un récit construit sur lassassinat du président américain alors quil prenait un bain de foule à Dallas, à larrière de la décapotable présidentielle, larrestation dOswald (1939-1963), le suspect numéro un, et les accusations qui sensuivirent, puis le meurtre de ce dernier par lénigmatique Jack Ruby (1911-1967). Ensuite, Labro sèche un peu et reprend son récit en évoquant les grandes figures qui ont laissé leur empreinte sur lenquête, pour terminer par un portrait de Kennedy quil semble admirer beaucoup.
De descriptions journalistiques en portraits quasi-littéraires, Labro se ''lâche'' un peu, jouant sur le côté «reporter jeune et rebelle» quil était et emploie des termes qui font sourire, connaissant le personnage médiatique et vieillissant quil est devenu : «Pisser», «Baiser», «Dézinguer». Pour lui, la vérité tient dans un mouchoir de poche. Ni complot, ni organisation secrète, ni CIA, ni Mafia, ni communistes, ni rien de tout ce que la politique remue depuis des siècles ! Un homme, un seul, à lopposé total du président (marxiste, laid, misérable, démuni, dérangé), tue un autre homme (enfin deux, puisque il a abattu un policier durant la course poursuite), le plus puissant du monde, le décide 48 heures avant et se fait arrêter quelques heures après
A méditer.
Labro népargne pas non plus Garrison (1921-1992), personnage tronqué, selon lui, par Oliver Stone dans JFK, tourné en 1991. Le véritable Garrison étant mégalomaniaque, usurpateur et manipulateur, malgré ses réelles qualités denquêteur, insiste Labro. D'autres intervenants apparaissent ci et là avec plus ou moins de pertinence ; en fait, Labro nous écrit aussi son histoire de l'affaire JFK, elle même alimentée par une bibliographie très sélective et du coup très subjective.
Pour les 50 ans de la disparition de Kennedy, Labro voulait ajouter au mythe sa propre marque littéraire. Le jeune journaliste ayant enquêté pour France-Soir en dépit de deux manquements terribles : il était à Yale lors de la visite de Kennedy à Dallas, et dans sa chambre dhôtel quand Oswald tombait sous les balles de Ruby. Il revient sur lAmérique de sa jeunesse et sur le climat politique et médiatique de lépoque (en nous rappelant que dans les années 60 on navait ni ordinateur, ni téléphone portable, ni Facebook !). Sa conclusion résume à la fois sa conception du drame et sa vision de la politique américaine : «Je men tiens à ceci : aucune preuve tangible, aucun témoignage tangible (cest à dessein que je répète ce terme) na pu valider une autre version que celle dOswald tireur isolé. (
) Elle me pousse à écrire : faute de mieux, il faut sen tenir à Oswald. Cest lui qui a tiré sur JFK. Toutes les preuves sont là».
Reste que ce drame romanesque et cinématographique est passionnant (une intrigue, des morts, du suspense, des enquêtes, des mystères, des théories, des lacunes) et Labro interpelle son lecteur au travers de pages qui sont parfois tout aussi saisissantes. La métaphore liminaire, ce point grandissant à vue dil pour mettre en scène le rapporteur de la tragédie, est parlante et rend compte du choc effroyable de cet assassinat. Labro décrit efficacement limpact de la brutalité quil a rencontrée en se rendant à Dallas, face à des protagonistes choqués, obscurs ou brutaux. Peut-être se perd-il ensuite quelque peu, jugeant bien trop vite les théories complotistes et dressant un portrait lacunaire de l'ancien président... comme s'il fallait absolument finir sur Kennedy.
Jean-Laurent Glémin ( Mis en ligne le 06/11/2015 ) Imprimer
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