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Littérature -> Poches |
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Ondes sismiques et mentales | | | Haruki Murakami Après le tremblement de terre 10/18 - Domaine étranger 2002 / 6.40 € - 41.92 ffr. / 160 pages ISBN : 2264033797
Traduit du japonais par Corinne Atlan Imprimer
Parfois un artiste vous surprend, il y a eu dans son uvre comme un changement de cap. Après le tremblement de terre, recueil de nouvelles qui ont pour thème commun le séisme de Kobé, fait partie de ces moments où la voix dun écrivain sexhausse, où le talent se transcende. Globalement, on ne peut que souscrire au jugement dun critique japonais Asahi Shimbun selon lequel "les récents ouvrages de Murakami révèlent une évolution, le passage de lindifférence à légard de la société vers lengagement." De fait, lécrivain, réagissant aux événements qui meurtrissaient le Japon en 1995 - le séisme de Kobé suivi de lattentat au gaz sarin commis par la secte Aum dans le métro de Tokyo -, publie dabord des textes non-fictionnels. Ce nest quen 1999 quil commencera délaborer un recueil auquel une de ses six nouvelles - Tous les enfants de Dieu savent danser - donne initialement le titre.
On parlait de thème, il faudrait plutôt dire que le tremblement de terre constitue larrière-plan tant chronologique que psychologique de la vie des personnages. Aucun deux na vécu directement le cataclysme. Murakami sintéresse aux répercussions lointaines du séisme, à la façon insidieuse dont il a modifié le paysage mental des personnages. Il faut voir là lexpression dune aptitude chez lécrivain à vivre lHistoire, à avoir une intime conscience de ses ruptures. "Ces catastrophes, expliquait-il tantôt, furent pour moi symptomatiques dune époque en train de sachever." Mais au-delà ou en deçà de cette intuition touchant à la marche de lHistoire, il faut évoquer ce qui fait la force de ces nouvelles comme, peut-être, de toute vraie littérature. Lécrivain parvient en effet à évoquer cette zone frontalière où lon passe indifféremment du monde intérieur de la conscience au monde extérieur : il se tient à leur confluent, à partir duquel ces deux mondes ne sont plus que lespace de leur intimité.
Aussi reviendra-t-on de la surprise causée par la présence de Crapaudin sauve Tokyo, une nouvelle qui fait songer irrésistiblement à La Métamorphose de Kafka. Comment interpréter ce surgissement du genre fantastique dans un livre qui jusque-là sinscrivait dans un scrupuleux réalisme, rejoignant ainsi la plus pure tradition de la short story à la Carver ? Sans doute en se ralliant à l'idée selon laquelle Murakami conçoit l'imaginaire comme seul transcripteur du réel, quand ses paramètres ont été bouleversés.
Thomas Regnier ( Mis en ligne le 12/03/2002 ) Imprimer
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