| Martine Storti 32 jours de mai Le Bord de l'eau 2005 / 17 € - 111.35 ffr. / 197 pages ISBN : 2-915651-39-6 FORMAT : 12,0cm x 20,5cm Imprimer
32 jours de mai est dabord lhistoire de Jeanne, jeune étudiante de philosophie, en mai 68. Lhistoire de son engagement dans le mouvement, de ses AG, de ses manifs ; celle des grèves, comme dans lusine de son père, première grève de lentreprise, puis lhistoire du désenchantement, de la manifestation du 30 mai, de la dissolution, de la reprise du travail. Cest aussi son coup de foudre pour Louise, enseignante en philo, puis lhistoire, trop courte, et tragique, de leur amour. Mais le roman, sous la plume dune amie de Jeanne, entrelace dautres récits. Celui des amours contrariées, impossibles, de Lou Salomé et de Nietzsche, un autre mois de mai, au siècle précédent. Celui, plus ténu, de la vie de Jeanne après Mai, après Louise.
Les artifices littéraires de ces 32 jours sont un peu éculés : jeu de miroirs entre passé et présent, à un siècle dintervalle ; parallélisme entre léblouissement amoureux et léveil politique, entre la fougue de la passion et celle de lengagement. Avouons que ce nest pas ce qui est le plus réussi dans le roman. Cela semble même presque un habillage, finalement écarté, au profit du cur véritable du livre de Martine Storti.
Car 32 jours de mai est avant tout un cri du cur, très personnel. Un cri damour pour ce mouvement de Mai 68, pour lespoir quil portait, la dignité retrouvée, la force du peuple, le désir de changer, daméliorer, de renverser lordre des choses. Un cri contre ceux qui ont trahi Mai, dès le début, ceux qui lont récupéré politiquement, ceux qui ont voulu lenfermer, le contraindre, «ramener le fleuve dans son lit» ; ceux qui nont pas su saisir la chance, qui se sont contentés de peu quand tout était possible ; ceux qui lont méprisé, ceux qui nont voulu ny voir que prise de parole, crise de la jeunesse, «farce de fils à papa». Un cri ensuite contre ceux qui lont renié, plus tard. Ceux pour qui «cest la faute à Mai». Un cri contre la gauche des années 80, le culte de largent, la jouissance du pouvoir, le cynisme et larrogance des parvenus, les petites et les grandes compromissions. «La gauche, pas pire que les autres, mais pire parce que cétait la gauche». Un cri contre les petites lâchetés ordinaires, la résignation face à son sort, à celui des autres, les regards qui se détournent alors quon sait, quailleurs, on torture, le repli sur soi, la «peur de louvrir». On y lit toute la déception de lauteur après léchec de Mai, après léchec de la gauche au pouvoir, avec juste le mince espoir que certains continuent à refuser de consentir au monde tel quil est, à garder la tête haute, à conserver une capacité dindignation.
Et ceux qui ne partagent pas ces idées ne supporteront sans doute pas le livre, pour ny voir que ses faiblesses. Mais pour ceux qui se retrouvent dans le cri de Martine Storti, 32 jours
offrira lagréable sentiment des idées partagées, le plaisir de la complicité et de la connivence. Elle leur fera revivre, un peu, ce si doux mois Mai
Mathilde Larrère ( Mis en ligne le 06/03/2006 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Mai 68 et ses vies ultérieures de Kristin Ross | | |