| Joe Abercrombie Premier sang - La Première loi - Tome 1 Pygmalion - Fantasy 2010 / 19.90 € - 130.35 ffr. / 573 pages ISBN : 978-2-7564-0294-9 FORMAT : 15cm x 24cm Imprimer
Lunivers de la Fantasy est, en dépit de toutes les attentes, un univers très balisé, avec quelques grands anciens (Tolkien et ses successeurs) et des histoires qui finissent dans les mauvais livres par toutes se ressembler (un magicien, un guerrier, une quête, etc., etc., ad nauseam). Bizarrement, il apparaît souvent difficile de renouveler ce genre, même si des pépites existent, et lédition est saturée dhistoires sans grand intérêt, dans des mondes stéréotypés. Dans ce paysage très connu, Premier sang, la série de Joe Abercrombie, fait souffler un vent de renouveau bienvenu et cette Première loi, premier tome de la trilogie, nous découvre un auteur et un univers tout à fait sympathiques.
Le monde de Premier sang est un monde déchiré par la guerre entre les barbares du Nord peu à peu unifiés sous la férule du roi Bethod, lUnion et lEmpire. Un monde au seuil du chaos et qui nattend quune étincelle pour basculer. Lhistoire commence à Adua, capitale dune Union en pleine décadence, affaiblie par les complots de toutes sortes, sous la coupe dun roi décati, et également menacée par les intrigues de lInquisition, bras armé et limite factieux du pouvoir en place. Dans ce royaume en crise assis confortablement sur une ancienne victoire militaire, larmée ronronne et se consume en tournois et beuveries, les factions saffrontent dans des conflits mesquins, sans se douter quaux frontières, quelques ennemis puissants se préparent pour une offensive qui sannonce rude.
On quitte ensuite Adua et ses problèmes de haute et basse police pour cheminer parmi quelques barbares nordiques, confrontés à des créatures qui menacent lhumanité, les Shankas, lesquels se répandent dans le royaume du Nord et risquent de déborder la race humaine. Enfin, et comme si cela ne suffisait pas, dans le Sud, bien au-delà des frontières du monde connu, une secte étrange viole les lois élémentaires de la magie pour constituer une armée monstrueuse qui sapprête à déferler sur lUnion. Une crise terrible et inévitable se profile, qui sent un peu lapocalypse : il est temps pour quelques héros dapparaître au grand jour
mais qui relèvera le gant ? Un barbare fatigué ? Un inquisiteur diminué ? Un pilier de tripot en quête damour ? Existe-t-il seulement un dieu pour aider tous ces gens-là !
Avec La Première loi, on est demblée aspiré dans lintrigue ou plutôt lenchevêtrement des intrigues - et il y a là une dimension politique qui rappelle les bons Raymond Feist (la trilogie de lEmpire) ou encore les péripéties du Trône de fer. Mais le grand atout de la série de Joe Abercrombie réside déjà dans ses personnages, une galerie originale et finement travaillée, qui joue des stéréotypes : Logen, surnommé «le sanguinaire», barbare sur le retour, fatigué de la barbarie et qui naspire quà vivre un peu plus vieux ; Glotka, ex-héros de guerre et épéiste chevronné, revenu en morceaux de deux années demprisonnement, et désormais inquisiteur sans âme au service des complots de lInquisition ; Jezal, officier et aristocrate snobissime, imbu des préjugés de sa caste et dont le seul talent semble être les cartes et une rare capacité à se saouler
Trois personnages en quête de destin, de justice ou simplement daffection. Un destin prend la forme dun vieux magicien, Bayaz, et dune improbable expédition. On croise également une galerie de personnages secondaires bien dessinés : une troupe de barbares sans trop de foi ni de loi, mais déterminés à préserver leur liberté, une esclave en fuite, transformée en une véritable furie ivre de vengeance, un magicien étrange et déguenillé, des comploteurs plus ou moins habiles, des politiciens véreux, des hommes de mains sans scrupules
Tout un petit monde qui sagite, plus ou moins conscient de la catastrophe qui sannonce. Et avec ça, un créateur disparu.
Un monde bigarré, mis en scène par un Joe Abercrombie inspiré, qui sait, par petites touches, ne pas enfermer ses héros dans des attitudes stéréotypées, mais bien au contraire, dessiner un portrait psychologique fin. Doté dune plume alerte, lauteur enchaîne les histoires et les récits, entrecroise les parcours et fait monter la pression : on découvre peu à peu ce monde et son histoire, ses puissances anciennes et en devenir, son panthéon complexe et lui aussi au bord de la guerre civile.
Après avoir découvert Georges R. Martin, Pygmalion relance un Premier sang passé un peu inaperçu lors de sa première parution : une excellente initiative et loccasion de (re)découvrir une série au ton vif, au rythme soutenu et sans temps mort, au style discrètement ironique
Bref, une série prometteuse, et dont il faut attendre la suite avec impatience. Une réédition bienvenue, qui vient à point pour ceux que Georges R. Martin fait encore languir.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 10/05/2010 ) Imprimer
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