| Franck Ferric Trois oboles pour Charon Denoël - Lunes d'encre 2014 / 20.50 € - 134.28 ffr. / 320 pages ISBN : 978-2-207-11731-6 FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm Imprimer
Un homme tente de survivre dans un charnier, après une bataille : sans nom, sans mémoire, seulement doué dune force et dune taille prodigieuses, il essaie de sesquiver dune guerre dont il semble avoir tout oublié ; mais, bientôt rattrapé par des pillards, il meurt et se retrouve face au passeur des enfers, Charon, goguenard.
Car cet inconnu, c'est Sisyphe, et sa malédiction le fait revenir à la porte des enfers à chaque renaissance. Avec une pièce dor dans lune de ses orbites, il est à la fois reconnaissable et incapable de donner au nautonier les 3 oboles sollicitées pour passer le fleuve Léthé et accéder à la mort. Quel crime a-t-il commis pour mériter une telle punition ? Car, de guerres en guerres, de blessure en blessure, Sisyphe se forge une sorte de mémoire corporelle, comme une tentative de savoir qui il est, et comment il pourrait échapper à cette malédiction. Dans sa longue traversée de lHistoire humaine, son duel avec les dieux antiques, et oubliés, vire à labsurde, une absurdité dont la guerre est le reflet.
Le mythe de Sisyphe revisité : dans la mythologie grecque, Sisyphe, pour avoir défié Zeus et capturé Thanatos (la Mort), puis pour lui avoir échappé, fut condamné à pousser sur une pente, pour léternité, un rocher qui retombait toujours
Un symbole de léternel recommencement et un châtiment terrible. Le Sisyphe de Franck Ferric est puni encore plus rigoureusement et, pour ainsi dire, par où il a péché : condamné à revivre constamment, il est systématiquement plongé dans des conflits et des guerres et meurt généralement assez vite, et dans des conditions peu agréables. Chaque séjour terrestre lentraîne au cur dune guerre, chaque mort le ramène sur les rives du Léthé où lattend Charon, chaque mort emporte avec elle le souvenir des existences passées
Une éternité doubli et de répétition, jusquà ce que ?...
Porté par un style poétique, parfois un peu allusif, ce roman nous entraîne dans une guerre permanente, sur terre et sur mer, au temps de lempire romain, des Carolingiens, dans les guerres de religions, parmi les mercenaires, les corsaires, face aux pyramides ou dans un avenir lointain où lhumanité a quitté la planète en masse. A travers le regard éberlué de Sisyphe, cest lhumanité que lon observe, une humanité qui sépuise en batailles, et épuise la Terre elle-même, une humanité bientôt abandonnée par ses dieux. Toute lhabileté de lauteur consiste à nous placer dans la peau de Sisyphe, et non dans celle du deus ex machina, celui qui sait : on erre avec lui dans les premiers temps, on se souvient peu à peu mais comme lui, pour prendre conscience du cycle infernal.
Entre parabole, conte philosophique et récit fantastique, ce roman mérite bien ses trois oboles.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 09/01/2015 ) Imprimer | | |