| Walter-Jon Williams Câblé + Denoël - Lunes d'encre 2004 / 29 € - 189.95 ffr. / 880 pages ISBN : 2-207-25623-5 FORMAT : 14x21 cm Imprimer
Aussi réussis soient-ils, les films de la trilogie Matrix nont rien inventé : le cyberpunk un futur où la technologie est assez avancée pour que des prothèses bioniques améliorent les capacités humaines (à des prix plus compétitifs que 3 milliards de dollars !) et que lon puisse cheminer quasi-physiquement dans une matrice comme dans un moulin est apparu voilà une quinzaine dannées.
Avec le Neuromancien de William Gibson et Privé de désert de Georges Alec Effinger, Câblé, de Walter Jon Williams est lun des romans précurseurs du genre, et lun des plus réussis. Cest la chronique dun futur étrange, anarchique, où la guerre a fait des États-unis un nouveau Far West, peuplé de cow-boys aux yeux mécaniques et de prostituées à la langue empoisonnée, un monde où linformatique peut vous transformer en Pygmalion, quasiment en de petits dieux ou en des fantômes virtuels.
En effet, les États-unis sont, dans ce futur proche, bien
désunis : la Terre elle-même a été abandonnée par ses élites, parties sinstaller dans lespace et en particulier en orbite (doù le surnom dorbitaux). Car cest en orbite que lon produit la plupart des richesses futures, et spécialement les divers produits pharmaceutiques (i.e. les drogues) consommés sur la planète par une population misérable. En orbite, on peut modifier son corps, et même accéder, non sans risques, à limmortalité : tout le monde rêve dappartenir aux orbitaux, quel quen soit le prix. Certes, quelques résistants/hors-la-loi subsistent, comme ces panzerboys, humains connectés à des tanks rapides, qui se chargent de convoyer dEst en Ouest des USA divers produits, pour le profit de trafiquants peu scrupuleux, et malgré les policiers des orbitaux. Du reste, ces derniers savent aussi utiliser les talents des terriens : cest ainsi que Sara, une jeune «crade» qui rêve de voyage orbital, est recrutée pour assassiner une notabilité orbitale à laide dun «cybercobra» lové dans sa gorge
sans savoir ce quelle risque elle-même en mettant le pied dans un monde quelle ignore. Peut être alors les réseaux informatiques constituent-ils un abri, pour celui qui saurait sy loger, comme Reno, et utiliser linformatique pour rester en vie, menaçant, grâce à un programme informatique guerrier, lesprit noir. Mais linformatique peut aussi mener à une forme de perfection, comme celle à laquelle vise par des voies étranges le docteur Talbot, plasticien virtuel.
Le cyberpunk est déjà un genre SF à part entière, avec son univers propre (un futur sombre, où lEtat a quasiment disparu, où la société est dominée par les grands groupes industriels pourvoyeurs de drogues et de technologies), son style particulier (un mélange assez libre de jargon technologique et de langage parlé) et ses intrigues multiples, enchevêtrées, passant de la guerre futuriste au thriller urbain, de la réalité au virtuel, où la manipulation est reine. On peut être au premier abord décontenancé, dautant que cet univers nest pas livré avec son mode demploi, et que le lecteur doit se faire progressivement une idée de ce qui lentoure. Mais une fois familiarisé avec le vocabulaire exotique ou technique, et les intrigues locales, on évolue dans un genre indiscutablement novateur, que tout amateur se doit de visiter, comme une alternative à la SF classique. Du reste, le lecteur assidu mesurera, à cette lecture, combien le cyberpunk a influencé la littérature contemporaine, tant dans les thèmes que dans le style. Un véritable retour aux sources.
En rééditant, dans une intégrale, les oeuvres cyberpunk de Walter Jon Williams, les éditions Denoël donnent ses lettres de noblesses à un grand ancien et maître du genre, quil était temps de republier (la dernière édition date de la défunte collection "Présence du futur"
bien regrettée !) en ces temps de matrices et de grands architectes. Chaque texte est précédé dun commentaire de lauteur, retraçant lorigine létincelle qui aboutit au texte : les fans de SF apprécieront ces quelques détails (sur des conventions littéraires américaines par exemple). De plus, avec ces deux romans (Câblé, Le souffle du cyclone) qui se suivent à un siècle de distance, traçant ainsi une véritable fresque de lavenir, et les deux nouvelles (Solip : système, ainsi quune inédite, Perspective érogène) qui font le lien, lamateur du genre peut replonger dans un futur proche et incertain, sombre, sans guère despoir, où lhomme ne peut compter que sur la machine
Que du bonheur !
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 20/12/2004 ) Imprimer | | |