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Poisson pané
Michel Jeury   Soleil chaud poisson des profondeurs
Robert Laffont - Ailleurs & demain 2008 /  21 € - 137.55 ffr. / 345 pages
ISBN : 978-2-221-11106-2
FORMAT : 13,5cm x 21,5cm
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On est en 2039 et tout fout le camp : la société humaine est plus divisée et plus inégalitaire que jamais… Certains vivent dans l’espace, d’autres sous terre (devinez qui sont les plus heureux ?) et au milieu, un monde pollué. Fini ? Quant à l’espèce humaine, elle ne vaut guère mieux : la sexualité passe par des «pups», sorte d’automates de chair (mignons, mais avec l’intelligence d’un enfant de 8 ans…) propres à tout fantasme, la mort est devenue un spectacle médiatique (dans la souffrance, si possible), la jeunesse quasi éternelle est à portée de bistouri (mais ça coûte cher), voire, pour les plus usés, le changement de corps (mais c’est pas encore légal). Consolation : on peut rencontrer des dieux et des diables (qui ressemblent plutôt à des bonimenteurs) partir en vacances dans la matrice et y faire des expériences de réalité virtuelle si excitantes qu’on y resterait bien à jamais… et y attraper des maladies très étranges.

Car dans ce monde qui flirte de plus en plus avec le virtuel et ses paradis artificiels, certains utilisateurs sont atteints par des syndromes curieux qui vous éloignent, physiquement et mentalement, de la réalité : soleil chaud (peau bronzée et schizophrénie sourde) et poisson des profondeurs (peau écailleuse) sont les affections du temps. Au point que l’Etat enquête, et qu’une police psychique se met en place… De là à imaginer que ces maladies puissent être manipulées par les grands consortiums ? Quelle solution alors ? Pour Dimi l’Amotak, ouvrier de spacios, c’est peut-être ce retour à la terre prêché par Malek Ozoungaria, prophète armé et luddiste de la Révaische, la révolution… mais sur une planète minée par la pollution ? Quant à Yan Nak, créateur bafoué d’environnements virtuels, la solution passe par la vérité, mais quelle vérité dans un monde où virtuel et réel s’interpénètrent ? Alors que reste-t-il ? Le paradis informatique, via une fusion des deux grands systèmes d’information (World losis et Univers one)?... Pas simple : tout cela est devenu affaire politique… Les patrons des grands consortiums dominent le monde, et ce monde est effectivement mal barré. La guerre et la révolution approchent...

Cette réédition d’un roman ancien (1976), qui prend place dans une série entamée avec Le Temps incertain puis Les Singes du temps, ne décevra pas les amateurs de Michel Jeury : sur une base simple (un conflit dans une société futuriste de plus en plus déconnectée), Jeury livre en fait un tableau apocalyptique du futur, un avenir métissé (où la culture indienne et africaine imprègne les hiérarchies sociales) dans une novlangue improbable (que l’auteur évite soigneusement de traduire : passé les premières pages un peu déstabilisantes, l’effet d’immersion à la «Orange mécanique» marche à fond et l’on cause l’argot lunar ou pyen à l’aise). Quant au récit, il s’apparente à une galerie de portraits parlants : le lecteur suit le destin de quelques protagonistes d’un chapitre à l’autre, qui lui permettent de reconstituer, en puzzle, un futur incertain, avec quelques grosses menaces qui pèsent comme des anticipations de nos propres peurs.

Alors certes, le style peut déconcerter, certes, le récit – choral – peut sembler décousu… mais l’entrée dans ce futur un peu déglingué est à ce prix, et la lecture, si elle est exigeante, s’avère aussi très rafraîchissante, comme un naufrage vécu de l’intérieur.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 21/07/2008 )
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