| Arnaud Rykner La Belle image Rouergue 2013 / 15,50 € - 101.53 ffr. / 144 pages ISBN : 978-2-8126-0549-9 FORMAT : 14,1 cm × 20,5 cm Imprimer
Cest dabord cela, La Belle image : une histoire de correspondance, celle quentretiennent deux hommes que tout semble opposer. Lun vient de sortir de prison et poursuit avec lautre, un universitaire reconnu, léchange épistolaire engagé, alors même quil se trouvait encore derrière les barreaux, pour lui demander de diriger sa thèse de littérature. Mais, si cette correspondance est la plus évidente, cest loin dêtre la seule à les relier ! Car, au fil des pages, à travers lécho entre les chapitres, de manière croissante, les deux je se rapprochent, dans le même questionnement existentiel, jusquà, parfois, se confondre : «Je suis dans sa prison. Ou lui dans la mienne» (p.131), «Son père est mort. Les pères finissent toujours par mourir [
] Et pourquoi pas les mères ? A-t-il senti langoisse qui métreint depuis quelques mois de voir mourir la mienne ? A-t-il entendu le cri muet que la maladie de son père à lui me faisait pousser à moi ? En quoi correspondons-nous lui et moi ?» (p.73).
Cest vraisemblablement dans le rapport de chaque homme aux passions et dans les «fractures vertigineuses de lexistence» (p.69) auxquelles celles-ci conduisent quil faut chercher la réponse à une telle interrogation : tout être, en proie à ses tourments intimes, peut passer à lacte, dans certaines circonstances. Combien, dès lors, est ténue la frontière entre le criminel et celui qui ne lest pas ou pas encore : «Vous nêtes pas pour moi un animal curieux, mais un reflet troublant» (p.98), «Ne voyez dans mon silence ni jugement ni condamnation, mais seulement un grand trouble. Trouble de voir se dessiner dans vos lignes comme un autre moi-même, un qui aurait vécu réellement, tout ce qui, la nuit, massaille au long des veilles. Japerçois dans ce miroir obscur de vos propres mots la silhouette de cet enfermé que je suis, pour dautres raisons, dune autre manière, dans une autre cellule, même si vous êtes sorti physiquement de la vôtre» (p.56).
«Un autre moi-même» : cest ainsi que luniversitaire perçoit son alter ego qui, lui aussi, a enseigné et transmis, avant de connaître lunivers carcéral. Cest précisément de ce sentiment dappartenance à la même communauté de destins celle de lhumanité tout entière que naissent lempathie autant que lidentification à cette figure presque gémellaire. Elles rendent dautant plus insoutenable la «double peine» subie par celui qui, même libre, reste pour toujours un prisonnier privé de sa dignité : «Au dehors, cest peut-être pire quau-dedans. Comment pouvais-je comprendre que dehors nexisterait plus pour moi ? Comment pourrais-je nommer ce dedans dont je ne peux méchapper ?» (p.31).
«Né dune révolte» (p.140), La Belle image dresse un réquisitoire implacable contre une institution qui détruit la pensée : «Mais comment vous dire lindigence dans laquelle nous baignions ? Des revues médiocres, peu ou pas de littérature quelques classiques, et pas des meilleurs, des policiers usés jusquà la corde (un comble, dans une prison), parfois des essais sur un peu tout, avec presque rien dedans. Un condensé de tout ce contre quoi je défendais mes élèves, ce que je leur enseignais à fuir» (p.40). Mais, au-delà, cest la société elle-même qui est coupable de son incapacité à réintégrer en son sein celles et ceux qui ont payé leur dette et terrible ironie lÉcole elle-même, dont le «devoir» est pourtant «dapprendre aux autres ce quest la justice, et quun même crime ne peut être puni deux fois» (p.87).
Inspiré dune «histoire vraie» (p.140), ce roman présente, dans son style, une forme de naïveté, voire dexaltation, qui néchappe souvent ni aux clichés ni à la facilité : «mon histoire dhier est ce qui fait ma force daujourdhui» (p.6), «Tu avais raison. Mais tu avais tort» (p.122). Cependant, le lecteur peut difficilement ne pas être touché par le pari littéraire qui sous-tend La Belle image, celui, précisément, de «tout déchirer» : «Je ne veux plus laisser de belle image» (p.132), terme qui ne cesse de revenir sous la plume de lauteur. Dans cette expérience de ses propres limites, vécue jusquà son paroxysme, telle est lambition de ce dernier : «ne pas [se] payer de mots» (p.56) et saffranchir du carcan des apparences pour faire véritablement uvre de sincérité.
Sans doute parvient-il en cela à nous dire que, malgré tout, seul le langage permet la liberté, celle de rencontrer autrui et, peut-être, de faire entendre sa parole et sa voix.
Sarah Devoucoux ( Mis en ligne le 02/12/2013 ) Imprimer
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