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Une délicieuse utopie
Hans Belting   Bosch - Le Jardin des délices
Gallimard 2005 /  40 € - 262 ffr. / 125 pages
ISBN : 2-07-011823-1
FORMAT : 25x28,5 cm
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Ce livre sur l’œuvre de Bosch est bien plus qu’un beau livre d’art bien d’illustré ; c’est un véritable ouvrage scientifique d’histoire de l’art, particulièrement éclairant sur l’un des tableaux du peintre flamand.

Le Jardin des délices est en effet ce grand triptyque conservé au musée du Prado, à Madrid, où Bosh a donné libre cours à son imagination et à sa virtuosité. Fermé, il présente une scène originale (et inédite) de la création, le troisième jour, celui de la création des plantes. La lune ni le soleil n’ayant été créés, les tons sont gris et blafards. Le contraste est violent avec l’explosion de couleurs quand on ouvre le triptyque. Le panneau de gauche figure le Paradis dans lequel Dieu présente Eve à Adam, cependant que dans le jardin luxuriant, oiseaux et mammifères exotiques (une girafe, un éléphant notamment), ainsi que quelques créations improbables du peintre, s’ébattent gaiement. Le panneau de gauche figure l’enfer. La scène, nocturne, se démarque par l’éviction totale de la nature. L’homme est présenté au cœur de la civilisation matérielle qu’il a produite et qui n’est que massacres, machines destructrices, guerres, tortures et incendies. Ce n’est donc pas l’enfer, ses diables et ses châtiments que le peintre a représentés, mais le monde des hommes sous son jour le plus noir. Le tableau central illustre bien le titre du triptyque. Un jardin luxuriant baigné de soleil abrite les jeux amoureux et sensuels d’hommes et de femmes nues, qui chevauchent des oiseaux, des licornes, se lovent dans des plantes extraordinaires et dévorent à pleines dents des fraises géantes. La symbiose entre l’homme et la nature dessine une contre-image de la civilisation.

Dans son triptyque, Bosch semble jouer avec les schémas traditionnels : sa création du monde n’est pas suivie d’une représentation de la chute, et le panneau central est l’illustration de ce qu’aurait pu être le paradis s’il n’y avait eu un serpent et une pomme. Aucun peintre n’avait jamais osé présenter telle scène, car c’était enfreindre la règle fondamentale selon laquelle l’iconographie biblique ne devait se rapporter qu’à ce qui avait eu lieu (le paradis avec seuls Adam et Eve) ou ce qui devait avoir lieu à la fin des temps. Mais Bosch put s’appuyer sur un autre chapitre de la Génèse qui décrivait ce paradis improbable. Enfin, sa représentation de l’enfer est une représentation du monde des hommes, qui ne s’équilibre pas, comme traditionnellement, d’une représentation du paradis céleste.

Le travail d’Hans Belting commence par nous guider à travers ce «labyrinthe du regard» qu’est le tableau de Bosch, dans lequel aucun fil ne s’offre naturellement pour aider le spectateur dont le regard se perd dans le panorama foisonnant et la multiplicité des scènes. L’auteur nous explique les thèmes utilisés, leur référant biblique ou leur utilisation récurrente dans l’œuvre du peintre. Il décode des symboles, attire notre attention sur les détails oubliés, en un mot, nous permet de comprendre l’œuvre. Ce passage nécessaire effectué, l’auteur s’emploie à resituer le tableau dans son contexte. Hans Belting a retrouvé le commanditaire laïc du tableau de Bosch : c’est Henri de Nassau qui en passa commande, sans doute au service d’une mise en scène destinée à égayer les fêtes du prince dans son palais de Bruxelles, cependant que la présence du triptyque au milieu d’une collection originale d’objets exotiques rapportés d’expéditions lointaines annonce les cabinets d’objet d’art et de curiosité qui se répandront plus tard.

Il présente ensuite le regard porté par les contemporains sur le tableau, rapporte l’immédiate fascination qu’il suscite, le mouvement de copie et les contrefaçons qu’il entraîne, mais également le silence surprenant de certains de ces spectateurs, comme Dürer, qui n’en dit mot, traduisant sa désapprobation. Il présente également les analyses plus tardives (le tableau est alors entré en possession des Espagnols et trône désormais dans les collections de l’Escurial) des critiques religieux, mal à l’aise face à ces représentations du paradis et de l’enfer qui pour certains frôlent l’hérésie et pour d’autres sont une somptueuse illustration du récit de la création.

Mais l’apport essentiel de cet ouvrage tient à l’interprétation que l’historien de l’art donne du tableau. A rebours d’une lecture classique qui interprète le tableau comme un chef d’œuvre hérétique, un règlement de compte avec les dogmes de l’Eglise, Belting voit dans ces panneaux une utopie peinte, enracinée dans l’esprit du temps, dans les théories humanistes de Thomas Moore (même son œuvre majeure L’Utopie, postérieure au tableau, ne peut avoir exercé la moindre influence) et Willibald Pirckheimer. Ce paradis imaginaire n’était pas pour Bosch un sujet théologique ; il ne cherchait pas à illustrer la Bible, même s’il lui fallut faire preuve de solides connaissances du Livre pour se prémunir contre les contrôleurs prompts à relever le moindre écart. Peut-être le commanditaire voulait-il une critique de la société de son temps. Pour le peintre, cette vaste utopie picturale visait avant tout à conquérir une liberté que la poésie goûtait depuis toujours, à revendiquer pour la peinture le droit à la fiction.


Mathilde Larrère
( Mis en ligne le 07/12/2005 )
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