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Forte, grande et bien bâtie : L'Architecture du réel
Eric Lapierre    collectif   Architecture du réel - Architecture contemporaine en France
Le Moniteur 2004 /  60 € - 393 ffr. / 316 pages
ISBN : 2-281-19209-1
FORMAT : 30x25 cm

L'auteur du compte rendu : Emmanuel Cros étudie l’architecture au Bauhaus de Weimar en Allemagne.
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Voilà un livre dont les images nous recommandent vivement la lecture. Architecture du réel est un ouvrage ambitieux, par son intention critique et son initiative photographique. Ni compilation, ni manifeste, c’est un événement éditorial qui ressemble au catalogue d’une exposition qui n’aurait pas eu lieu.

L’auteur, Eric Lapierre, est architecte, historien et critique d’architecture. Il enseigne à Paris. Il a reçu en février le «prix national 2004 de la première œuvre», lequel récompense le bâtiment qu’il a conçu pour Le Monde diplomatique dans le 13ème arrondissement. Sans rien écrire sur sa propre pratique professionnelle, il propose une analyse critique d’une manière de faire de l’architecture aujourd’hui en France.
Un rapport photographique méthodique commandé à trois photographes présentés comme non spécialistes de l’architecture, Claire Chevrier, Emmanuel Pinard et Paola Salerno, révèle douze réalisations récentes dans leurs différents environnements. Chacune de ces œuvres construites sur le territoire métropolitain est due à une agence d’architectes français : D’Atelier Provisoire, AUC, Du Besset & Lyon, Jacques Ferrier, Philippe Gazeau, Lacaton & Vassal, Rémy Marciano, Nicolas Michelin, Périphériques, Dominique Perrault, Rudy Ricciotti, et Adelfo Scaranello… L’auteur présente aussi un projet non encore construit. «J’ai dans ce livre, posé comme hypothèse que les images devraient rendre compte de la présence au monde de bâtiments divers et que, pour la majorité des observateurs, elles seraient le seul moyen de connaissance de l’œuvre. Il convient, par conséquent, qu’elles soient le plus «objectives» possible, ce qui signifie qu’elles doivent se situer d’emblée dans le champ de la photographie documentaire», écrit-il (p.21).

Ce témoignage offre 132 photos couleur, reproduites en pleine page. Les bâtiments — maisons, bureaux, gymnases, usine … — y sont vus habités, occupés, utilisés. Observations que redoutent les architectes et qui tendent à disparaître des publications. Emmanuel Pinard a produit de chaque bâtiment dans son contexte une seule image avec un recul inhabituel, une distance photographique souvent autorisée aux seuls ouvrages historiques qui tentent de rapporter avec exactitude l’état de la construction dans l’époque de sa création. C’est d’ailleurs Emmanuel Pinard qui a assuré la direction artistique de la commande photographique, distinctement répartie entre les trois photographes. «La photographie est un art de l’objet trouvé, ou de la «relation trouvée». Faire de l’architecture, c’est aussi procéder par assemblage d’éléments préexistants entre eux ; et ces éléments prennent leur sens de se trouver inscrits dans un cadre de relations particulier» (p.23). […] Les trois photographes et les douze architectes rassemblés dans ce livre sont proches : tous sont des artistes du réel» (p.25).

Dans cet ensemble d’œuvres, Eric Lapierre distingue des caractères communs et des affinités. Vingt-trois thèmes échafaudent le texte en courts chapitres, et forment un «champ lexical» de l’architecture du réel. «L’architecture considérée comme le moyen de construire des objets intrinsèquement cohérents. Placer l’architecture au centre signifie que, formellement, elle n’est chargée de rien représenter d’autre qu’elle-même», écrit l’auteur dans son introduction (p.15). Il semble que l’on passe d’une architecture de concepts, empruntant souvent à d’autres disciplines, à une architecture d’intentions qui œuvre en inventant des stratégies. Eric Lapierre montre qu’aujourd’hui les objectifs sociaux et esthétiques n’en sont pas diminués. Les architectes jouent pour cela du détournement des contextes, des moyens, des conventions et des standards, et, par une «neutralité expressive» et un «pragmatisme constructif», créent une «esthétique de l’efficacité». Présence et matérialité deviennent des caractères prépondérants de la forme, qu’Eric Lapierre analyse, parlant d’ «ambiance», d’ «espace neutre», de «formes résultantes» … et de l’«inquiétante étrangeté» qui place ces bâtiments entre énigme et évidence, dans un écart de perception entre le reconnaissable et l’inouï.
Les textes de dix des agences d'architectes présentées complètent l’ouvrage et l’on découvre les préoccupations principales de chacune. La plupart de ces contributions écrites ont en commun une écriture programmatique, cherchant à définir comment faire l’architecture aujourd’hui. Le texte de l’architecte Nicolas Michelin, «Presque rien» (p.306-309), discerne avec une remarquable lucidité les conditions actuelles de production de l’architecture.

Il manque à cette édition la traduction en anglais, pour une large diffusion, des textes d’Eric Lapierre, d’une quarantaine de pages en tout. Ce texte élaboré et dense, d’une écriture simple et déductive, présenterait avec force dans le débat européen le dynamisme que diffusent ces architectes. C’est d’ailleurs ce que l’on peut attendre d’un éditeur comme Le Moniteur, qui a reçu là le soutien affirmé du Ministère de la culture et de la communication. Une carte qui situerait les projets et les agences compléterait efficacement la traduction, prouvant que des foyers de création existent bien en dehors de la seule capitale.

Dans Architecture en France (1940-2000) Histoire et théories aux mêmes Editions du Moniteur, paru en 2001, Jacques Lucan — qui signe la préface du livre — distinguait alors «le projet comme processus et agencement» comme l’évolution la plus récente dans la conception architecturale (p.353). L’auteur terminait son dernier chapitre, intitulé «le temps du pluralisme» en citant Jean Nouvel qui écrivait en 1996 (AA, n°286) : «Etre architecte au XXe siècle ce fut, sur la table rase, inventer le réel. Etre architecte au XXIe siècle sera manipuler le réel». Eric Lapierre qui affirme aujourd’hui que «le réel est tout d’abord une matière première» (p.23) livre là avec «des héritiers de Jean Nouvel» (p.17) une suite convaincante à l’ouvrage de Jacques Lucan.

Ce livre profite d’un véritable apport photographique, volonté d’une démarche à l'inverse de l’illustration. Le texte d’Eric Lapierre établit une vraie synthèse de nouvelles pratiques architecturales. L’ouvrage participe efficacement à l’examen de la situation contemporaine et fixe l’esprit de l’époque. Architecture du réel est de ces livres qui jalonnent l’histoire de la production nationale et qui appartiennent à la grande constellation des écrits d’architecture.


Emmanuel Cros
( Mis en ligne le 19/04/2004 )
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