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Prouvé : un prototype d’industrie ?
Bernard Marrey   La Mort de Jean Prouvé
Editions du Linteau 2005 /  10 € - 65.5 ffr. / 64 pages
ISBN : 2-910342-42-5
FORMAT : 11x17,5 cm

L'auteur du compte rendu : Emmanuel Cros étudie l’architecture au Bauhaus de Weimar en Allemagne.
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Jean Prouvé (1901-1984), artisan de l’industrie, concepteur-constructeur hors pair de l’architecture métallique, confiait à certains, à la fin de sa vie : «Je suis mort en 1952». Cette année-là, il perd le contrôle de la société qu’il avait fondée à Nancy plus d’une génération auparavant à l’âge de 22 ans. Il y avait développé un sens nouveau du métal et surtout de la tôle, usant avec invention du pliage pour former le matériau. L’expérimentation directe qui faisait la réussite de ses créations innovantes ne pouvait plus être continuée, conséquence des orientations nouvelles décidées par le comité de direction et l’actionnariat qui peu à peu avaient remplacé la gestion très personnelle d’une entreprise somme toute familiale. Paradoxalement, les «Ateliers Jean Prouvé» qui s’étaient développés en autofinançant leur croissance en période de crise économique grave, se trouvèrent après-guerre dépassés par les grands chantiers de la reconstruction.

Dans son usine de Maxéville-les-Nancy, Prouvé travaillait sans discours à l’alliance de l’art et de l’industrie. Fils d’une famille d’artistes influents de l’Art Nouveau, il avait apprit le métier de forgeron. C’est vers la métallerie qu’il orienta sans tarder la destinée de ses Ateliers vers les activités de serrurerie, de menuiserie et de tôlerie fine, exceptée la chaudronnerie, réalisant des constructions toutes de métal, des structures et des élèments de façade et de couverture, ainsi que du mobilier. Démarrée en 1924 dans un climat économique difficile, l’activité va croissante et les «Ateliers Jean Prouvé» fondés en 1931 prospèrent (une première machine à plier la tôle est acquise cette année-là). Dans les années 30, l’entreprise compte jusqu’à une soixantaine d’employés. Elle survit à la Seconde Guerre mondiale pour s’établir ensuite comme une référence, dont la reconnaissance parmi les architectes et les constructeurs sera mondiale.

D’un matériau unique ou presque, Prouvé réalise des chefs d’œuvres d’ingéniosité, rationnalisant les moyens de fabrication, optimisant les formes aux assemblages astucieux. La recherche y est intuitive, empirique et optimiste. Les «Ateliers Jean Prouvé» mettent au point nombre de solutions techniques pour des projets qui leur sont soumis, ou procédent à des recherches initiées par Prouvé lui-même, dans une adéquation rare entre conception et outil de production. La fabrication «spontanée» de prototypes permet l’invention et la mise au point de solutions nouvelles. Les dessins d’étude laissent vite la priorité aux modèles d’essai en vraie grandeur, où a lieu la véritable élaboration que les calculs préciseront si nécessaire.

Prouvé, sollicité par de nombreux architectes parmi lesquels Le Corbusier, son cousin et longtemps associé Pierre Jeanneret et leur collaboratrice Charlotte Perriand avec qui de multiples coopérations verront le jour, développe et initie des recherches sur l’industrialisation de la construction et la standardisation. Le logement occupe une place prépondérante dans ces explorations d’une préfabrication qui ne serait pas conditionnée par une production massive en série. La préfabrication entendue dans le large sens d’une production en usine d’éléments qu’il ne reste qu’à assembler sur place doit permettre une coordination optimale des tâches et profiter de technologies avancées, comme il s’en trouve dans l’industrie automobile ou dans l’aéronautique. Doivent en résulter des éléments combinables d’un niveau de finition élevé, très maniables pour un montage et un démontage rapides. Cette conviction industrielle anime Prouvé, dont la production pourtant tire son originalité de son caractère non-conventionnel dû à une pratique artisanale ou semi-industrielle.

La préfabrication spécifique dont rêve Prouvé grâce à l’opportunité de la reconstruction d’après-guerre ne se réalisera pas. D’ailleurs le secteur du béton prendra l’avantage sur celui du métal et finira par s’imposer. La demande engendrée par les conditions exceptionnelles de la guerre ne génèrera donc pas de filière industrielle de l’habitat. Elle produira à l’inverse une rationnalisation excessive de la construction de masse et confirmera un système orienté vers la production de pièces détachées pour le bâtiment d’un côté, et vers la préfabrication dite «lourde» de l’autre, qu’illustre les grands ensembles de logements en panneaux de béton.

Pourtant les commandes de la reconstrution sont nombreuses et les «Ateliers Jean Prouvé» doivent s’agrandir et investir dans des outils performants. Les problèmes d’approvisionnement puis la hausse continue des prix des matériaux pèsent sur l’entreprise qui connaît des difficultés de trésorerie dès 1947 et dont il faut à plusieurs reprises augmenter le capital. Prouvé chaque fois va voir ses pairs plutôt que les banques, lui qui jamais ne s’est soucié de médiatiser son travail (pas au-delà de Nancy où ils avaient trouvé ses premiers actionnaires). Ce sont donc des entrepreneurs de la construction métallique, des fournisseurs de matière première et des «transformateurs» qui par étapes ajoutent au capital de l’entreprise Prouvé, jusqu’à devenir majoritaires. Jean Prouvé a alors mandat de président et de directeur général. Mais ces nouveaux partenaires ont des visées différentes et des modes de gestion en contradiction avec le développement particulier des projets en équipes «soudées» autour de Jean Prouvé. Les fabrications en grandes séries ont leur préférence, «(…) le fournisseur de la matière première s’employant ainsi à développer ce qui était somme toute l’un de ses débouchés possibles» (pp.22-23). L’Aluminium Français, qui compte déjà 17% du capital en 1949, cherche à conquérir le bâtiment, limité jusqu’alors dans ses débouchés à l’aéronautique, au matériel roulant et au matériel ménager.

Prouvé l’entrepreneur se trouve gagné par des gestionnaires de sociétés qui installent méthodiquement une rupture entre bureau d’étude et atelier de production et le cantonnent à un rôle de concepteur (de designer dirait-on aujourd’hui). Bernard Marrey écrit de Prouvé : «Par là, il a toujours eu du mal à s’adapter au monde de l’industrie, dans lequel ces tâches sont scindées, décomposées, réparties en différents bureaux et ateliers, comme à véritablement comprendre qu’un système apparemment compliqué mais facilement reproductible pouvait être plus rentable qu’un système simple, plus élégant, mais difficile à reproduire» (p.53). Prouvé y est employé pour sa capacité d’invention, jusqu’au rôle de metteur au point de solutions techniques qu’un industriel actionnaire finalement adapterait ailleurs sans finesse à sa chaine de production de masse. C’est en désaccord profond avec les nouveaux dirigeants qu’il démissionne de la direction de l’entreprise en juin 1953, alors même que les «commandes de cette période proviennent toutes des relations de Prouvé, aucune de Studal, aucune de la Cegédur ; aucun transformateur, malgré leur stature sans commune mesure avec les Ateliers Prouvé n’a apporté de commande…» (p.31).

Il quitte définitivement toutes ses fonctions quelques mois plus tard et cède ses actions à la fin de 1955 à la société des «Ateliers de préfabrication de Maxéville». Il récupère alors son nom mais il a «perdu tout l’acquis de son travail qu’il avait généralement omis de breveter» (p.42). Cette amputation de l’outil de travail qu’il avait façonné, Prouvé la ressentira avec douleur tout le reste de sa vie, s’étant senti mourir de cette passion gâchée. «Faire ensemble était sa joie et sa raison d’être. Il ressentit l’obligation de faire seul comme une mutilation» (p.52).Désormais Prouvé intervient sur de nombreux projets en qualité d’ingénieur conseil, parfois directement pour l’entreprise fabricante comme avec la CIMT, Compagnie Industrielle de Matériaux et de Transports de 1960 à 1969, après l’absorption de la société «Les Constructions Jean Prouvé» créée en 1956.

L’auteur, Bernard Marrey, développe chronologiquement les évolutions des structures où exerce tour à tour Jean Prouvé. C’est malgré tout dans cette période de l’après Maxéville que des réalisations magistrales de Prouvé voient le jour, comme le Pavillon du centenaire de l’Aluminium construit en 54, sa propre maison à Nancy la même année avec des «restes» de ses Ateliers, la «maison des jours meilleurs» pour l’Abbé Pierre et la buvette d’Evian en 56, l’école de Villejuif en 57 ou encore de nombreuses façades de verre et de métal en «murs rideaux» dans les années 60, dont celles du CNIT à la Défense (fin 1950). Propulsé enseignant, il reste treize années au Conservatoire national des arts et métiers. Nombre de constructions majeures de cette époque associent le nom de Jean Prouvé, parmi lesquelles le siège du Parti communiste à Paris conçu par le brésilien Oscar Niemeyer. Avec ce dernier et d’autres éminences comme l’architecte Philip Johnson, il décide en président du jury pour la réalisation du musée d’art moderne sur le plateau Beaubourg du projet lauréat dû à un jeune duo étranger, les architectes Renzo Piano et Richard Rogers, pour ce premier concours international d’architecture organisé en France en 1971.

Bernard Marrey dresse en conclusion un portrait de Jean Prouvé en homme d’équipe et de terrain, chef d’entreprise et créateur, ayant la foi et le «désir de faire» (p.51), où «Prouvé apparaît avec les qualités que l’on reconnaît plus souvent chez un militant que chez un entrepreneur» (p.51). Ce caractère s’affirmait déjà dans l’ouvrage Jean Prouvé par lui-même (propos recueillis par Armelle Lavalou), paru en 2001 chez le même éditeur. En quatrième de couverture on pouvait lire : «(…) c’était trop de révolutions à la fois. Prouvé a donc été «normalisé» en 1954».

La «mort» de Jean Prouvé, texte court, captivant et très renseigné, contribue à la recherche sur l’histoire industrielle récente, témoignant au travers de Prouvé d’une période de mutation d’un secteur économique dont nous connaissons aujourd’hui la continuation. L’auteur raconte ainsi ce que fut l’aventure de cette «usine-pilote» (p.36) et sur elle les ravages d’une croissance forcée. Si depuis les créations de Jean Prouvé —ses meubles et maintenant ses maisons— sont entrées au musée (ses «maisons tropicales» retrouvées en Afrique et restaurées sont exposées à Paris), il existe aujourd’hui des entreprises qui grâce aux nouvelles technologies et à la fabrication assistée par ordinateur, innovent dans les petites séries très diversifiées et réussissent une préfabrication au cas par cas «à la Prouvé».


Emmanuel Cros
( Mis en ligne le 07/02/2007 )
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