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Un pavé pour la cité des paradoxes | | | Tama Janowitz Kanji Ishii New York Assouline 2005 / 45 € - 294.75 ffr. / 975 pages ISBN : 2-84323-714-9 FORMAT : 17,0cm x 23,0cm Imprimer
New York : une baffe gigantesque, un dépaysement total, ses tours surgissant sur lhorizon du New Jersey. Un tunnel sous lHudson pour pénétrer dans ce Manhattan cousu de fantasmes
Tout de suite, la frénésie poisseuse de la ville colle à la peau, tout juste interrompue par les souffles violents de climatiseurs balèzes. Terre de contraste, suffocante et frigorifiée, puissante et fragile, riche et miséreuse, climax de civilisation aux rythmes organiques
Cité étourdissante
Qui ne se réduit pas à lîle au mille grattes-ciel. Subway, ligne 1, downtown, tout droit vers Brooklyn doù lon peut sentir, en même temps que liode océanique, laura new-yorkaise, poser son regard sur la skyline et le pont légendaire. Minuscule et les pieds dans leau, Madame liberté dresse son bras devant Manhattan. New York est un espace fourbe, que lon croit à taille humaine, en fait une véritable immensité, géologique, biologique, astronomique
Lultra-luminescence de Time Square et la débauche américaine qui sy montre, impudique, dans toute son horrible beauté
Là, un Deli prend par le nez pour y savourer un cheese-cake, le vrai, new-yorkais, tout simple, lourd et crémeux
Les dimanches ensoleillés, les New-yorkais se retrouvent en masse sur les pelouses et dans les allées de Central Park, étonnante oasis rectangulaire au cur dune ville qui aime la géométrie : ses avenues rectilignes et interminables, entrecoupées à angles droits par des streets tout aussi droites, ces immeubles provocateurs, donnant aux perspectives des allures cubistes, sa répartition sociale et ethnique pragmatique sous de faux airs cosmopolites et équilatéraux
une pensée elle aussi plane et droite. Dans ce Park, les autochtones ne courent, pédalent ou roller-skatent que dans un sens, anticlockwise, inverse à celui des aiguilles dune montre. Time is money dans la Grosse Pomme, The City that does not sleep
Peut-être croient-ils que ces courses dominicales les aident à remonter le temps ?!
Du haut de lEmpire State Building, Manhattan sadmire comme une grosse fleur granitique, et ces grattes-ciel comme autant de pétales et pistils, étamines fantasques sorties de limagination de quelques architectes fous et des finances non moins ahurissantes des magnats locaux : Rockefeller, Warner, Trump, Chrysler et tant dautres
Dans cette ville, lhorizon est vertical, la frontière toujours plus haute dans le ciel, Babel puissance mille marquée néanmoins du sceau du XXe siècle
Le soir, du Manhattan Bridge, la Skyline passe au noir dans un scintillement stellaire, façon fée électrique
Un bateau passant sous le pont fera jaillir des trombes deau. Beau spectacle
Dans lUpper West Side, des immeubles haussmanniens, mais à laméricaine, avec 50 étages
Au niveau de la 72e, chez Gray Papayas : les hot-dogs les moins chers de Manhattan. Des blacks et latino de la rue, avec leurs caddies, leurs maisons
Dans Harlem, lApollo Theater est une ruine et les vieilles bâtisses hollandaises conservent toute leur beauté passée. Le quartier se transforme, se gentrifie, comme de nombreuses zones sur lîle. Il reste néanmoins le secteur des blacks, rongé sur son flanc est par les latinos. Manhattan est un parc à thèmes, avec ses quartiers ethniques
Chaque tribu a son secteur : blacks, russes, latinos, étudiants, gays, bobos, riches juifs, riches WASP, pauvres juifs, chinois, italiens, artistes. Au niveau de la troisième avenue, Bloomingdales, le célèbre grand magasin. Time Square encore, pour lagression de la lumière et se perdre dans tout ce scintillement. Devant les écrans à la gloire de Coca, MTV, Virgin, ToysRUs, Gap et tutti quanti, un baraquement de lUS Army est là pour recruter
Et, sur un passage piétons bondé de touristes des quatre coins du monde, un homme dépassé par la vie, porte fièrement une pancarte pro-life
Etrange Amérique
Etrange macédoine humaine que louvrage des éditions Assouline nous livre dans une tonitruante V.O. photographique. Des centaines de photos qui, en cascade, racontent, muettes, cette frénésie faite ville. Pas forcément belles, ces photos sont néanmoins magnifiques, paradoxes argentiques pour une cité Paradoxe. Les clichés sont entrecoupés de citations dauteurs des quatre coins du monde : Madonna qui a chanté New-York dans son dernier album, Camus, Sartre, Auster bien sûr, Trostky aussi
Tama Janowitz, new-yorkaise exemplaire, délurée, métissée, à lhistoire embrouillée, introduit louvrage par un texte charmant sur la Grosse Pomme, les transports, la mode, l'architecture et la valse des saisons, la nourriture... Sur sa fin, louvrage se la joue guide, avec quelques adresses, des hôtels, des bars, des galeries et boutiques incontournables. Mais il est intransportable en balade dans les avenues sans fin de ce désert de ciment et dacier (Camus)
Bref, un ouvrage comme une brique, pour créer lenvie daller à New-York, dy retourner encore et encore. Peu cher étant donné la masse, au propre comme au figuré, il doit rejoindre une bibliothèque conséquente, de toute urgence !
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 03/04/2006 ) Imprimer
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