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| Chang-Ming Peng Echos - L'art pictural chinois et ses résonances dans la peinture occidentale Editions You-Feng 2004 / 50 € - 327.5 ffr. / 248 pages ISBN : 2-84279-162-2 FORMAT : 23x28 cm
L'auteur du compte rendu : agrégé dhistoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de lEcole Normale Supérieure. Il a fait des études dhistoire et de philosophie. Après avoir été assistant à lInstitut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à lhistoire des polémiques autour des origines de lEtat russe. Imprimer
Quand la république populaire de Chine ne rase pas les vieux quartiers de Pékin dans sa course au rattrapage économique, elle sait subventionner des expositions prestigieuses qui exaltent la Chine ancienne des empereurs ou des livres dart qui font mieux comprendre et apprécier la grandeur de la civilisation chinoise à loccident fasciné. Ainsi de ce superbe livre à lire et à regarder, Echos, superbe recueil de reproductions de la peinture chinoise ancienne, accompagné du texte solide et éclairant de Chang Ming Peng, jeune historienne, issue dune famille dartistes chinois et enseignante elle-même à la Sorbonne en histoire de lart.
A lire et à regarder, précisément, car comme lexplique Chang Ming Peng, la peinture chinoise prend sa source dans la calligraphie et lidée dune interpénétration essentielle de lécriture et du dessin. Si loccident a fondé sa pensée des arts sur lidéal de représentation (mimésis grecque : limitation de la nature, du réel) ut pictura poesis la Chine et lextrême-orient qui lui emprunte sa pensée et ses arts pour lessentiel considèrent que la fonction de la peinture est dabord de faire sentir et voir de la beauté intérieure, la fluidité du geste et la finesse de la pensée. Logiquement, loccident, fondé sur les Grecs de lâge classique, place larchitecture et la sculpture au fondement des arts et disqualifie longtemps la peinture comme simple art manuel et pratique jusquà la découverte de la perspective qui lui confère une dignité intellectuelle et en même temps une capacité à représenter précisément, more geometrico. La Chine part du poème et de la beauté harmonique de lécriture pour faire immédiatement après de la peinture une forme à peine dégradée du dire. Peut-être lEgypte hiéroglyphique avec son culte conjoint des signes écrits et des monuments architecturaux, avec son écriture évoluante mais jamais coupée de sa racine picturale dans sa forme simplifiée, constituerait-elle un maillon entre ces deux civilisations, dont Leibniz et les jésuites sentaient la profonde parenté dans la différence et en laquelle ils voyaient comme deux branches, deux expériences historiques, deux voies parallèles et puissantes de lesprit. Chang Ming Peng sait avec sûreté dégager lessentiel de ces expériences et faire comprendre au lecteur-spectateur la spécificité de la peinture chinoise.
Spécificité ne signifie pas immuabilité, même si la Chine dans ses traditions orientales de sérénité et dharmonie valorise la continuité et la conservation du dépôt de la tradition. Linfluence des trois sagesses orientales (confucianisme, taoïsme et bouddhisme) se reflète dans la pensée et lexpression picturale de la Chine. De lécriture calligraphiée, cette dernière donne peu à peu plus de place à lanimal et à lhumanité, mais aussi au végétal et au paysage. La montagne, chère à la peinture extrême-orientale jusque dans les estampes de Okusai le japonais (le Japon est une échine montagneuse dans la mer), est un thème privilégié demblée : car la sagesse et la méditation sur la montagne (vue ou fréquentée) sont intimement liées. Au Japon, on le sait, la montagne est tellement sacrée quelle reste insouillée et fait du Japon des hommes une mince plaine côtière surpeuplée. Le chapitre consacré au Chan, forme chinoise primitive de ce qui deviendra le Zen japonais (à partir du 14ème siècle) et qui dérive lui-même du bouddhisme indien, est une explication passionnante des rapports dexpression de ce courant de pensée majeur et de la peinture.
Les rapports de la Chine et de lOccident à partir du 13ème siècle se traduisent dans le domaine des arts par une fascination européenne pour la finesse et le luxe de lorient, mais la peinture hollandaise se contente dagrémenter de touches dexotisme (pagodes, boîtes peintes et agrumes) des formes qui ne doivent rien à ces contacts. Avec les échanges commerciaux, lesthétique chinoise puis japonaise attirent davantage lattention des maîtres, tels Rembrandt, ce dont certains dessins témoignent clairement. Quant aux Chinois, sils admirent le réalisme photographique des occidentaux, ils ne sont jamais convaincus davoir à leur emprunter quoi que ce soit dessentiel : lart européen leur semble manquer de mouvement et dintuition de lessence. Comme dans le domaine religieux, les jésuites oeuvrent habilement mais à court terme vainement pour un rapprochement des conceptions.
Il faut se méfier des théories qui prennent les ressemblances et la force des analogies pour des preuves dinfluences cachées. Chang Ming Peng fait justement valoir que les hypothèses concernant de supposées influences sont rien moins quavérées et probables avant le 19ème siècle : tout au plus Rembrandt a-t-il été intéressé par les dessins rapportés des Indes en Pays Bas. Mais généralement lâge classique et le siècle des Lumières considèrent lorient comme une source didées décoratives sans y puiser de renouvellement du regard ou des techniques. Le titre dEchos sapplique positivement à lart occidental à partir de lart romantique. Comme Peng le rappelle, le paysage fournit le thème commun de cette école et de lart oriental, tandis que des influences profondes deviennent évidentes. Cela ne signifie pas dailleurs que la peinture romantique naisse de la fécondation de lorient, mais quelle rencontre lorient parce quelle procède dune sensibilité nouvelle en Europe, littéraire et philosophique, plus proche des préoccupations chinoises et japonaises.
Tandis que loccident remet en cause la raison instrumentale et les constructions métaphysiques, le paysage, inventé à la fin du Moyen âge et pétri de perspective mathématique, change de sens pour passer dun décor symbolique et dun écrin du sujet moderne dans sa stance de maîtrise sur la nature à une expression symbolique de lâme du poète et des puissances suggérées de la Nature divine. Le souci de passer de la perspective réaliste à la représentation de linfini et du sens, voire à léludation symboliste de la représentation, rapproche romantisme et pensée extrême-orientale. Autre rapprochement évident : linsertion de lhomme dans le tout et la recherche dune vision de sa place dans lunivers. Mais là où lorient voit immédiatement lharmonie du sage, le romantisme reste fasciné par la démesure du génie, du sublime et de linfini transcendant.
Cest avec le naturalisme, limpressionnisme puis avec le post-expressionnisme que la peinture occidentale passe de lallusion et de linsertion déléments à une étude mise en pratique des techniques et surtout du sens de lart oriental à linvention dun langage pictural imprégné détude de lorient. Lépure triomphe au profit du sens du mouvement, de linstantané, du geste, puis contre limpressionnisme, cubisme, expressionnisme et abstraction prétendent à légal de la Chine et du Japon libérer la peinture de lobjectivité matérialiste et représentative et sapproprier un transcendantal de lil dans une régression au-delà du mental captateur et chosiste ou une déconstruction à fonction éthique de la peinture. Le superbe Soulage («Composition noire») scelle la démonstration dune évidence frappée dun noir intense comme lencre. On découvre les noirs du Japon, on prétend se défaire de la lourdeur opulente, angoissante de lhuile et des choses. Retour au zen. On aurait volontiers ajouté au texte très juste de Peng la méditation de quelques textes fondamentaux du dernier Heidegger (Acheminement vers la parole). Ils auraient clôturé superbement une conclusion magnifique sur le sens de notre rapprochement et les vux de Peng pour une poursuite de la relation, dont elle note quil devient un dialogue.
Le texte dEchos articule clairement analyse et synthèse, généralités et études précises de cas (artistes ou oeuvres) ; les chapitres suivent un plan chronologique qui distribue peintres et écoles par périodes (souvent nommées daprès une dynastie ou une série de dynastie) mais aussi par mouvements. Sa clarté ne sacrifie jamais la qualité et la justesse de la pensée, dont la finesse et lélégance rendent une justice bien taoïste aux artistes présentés. Mais le lecteur est bien pardonné de sabandonner au plaisir de le feuilleter en suivant son inspiration et son instinct comme une loi suffisante de liberté. Au gré des résonances.
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 16/07/2004 ) Imprimer | | |
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