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Beaux arts / Beaux livres -> Histoire de l'art |
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L’art se fait là où on habite... | | | Susanne Van Hagen Irène Gludowacz Philippe Chancel Chercheurs d'art - 22 collectionneurs au service de l'art Somogy 2005 / 58 € - 379.9 ffr. / 239 pages ISBN : 2-85056-896-1 FORMAT : 25,0cm x 34,5cm
L'auteur du compte rendu : Outre des collaborations régulières avec des galeries ou dans la presse, Jérôme Poggi travaille dans le champ de lart contemporain au sein dune structure quil a créée, Objet de production. Il enseigne à lEcole centrale de Paris, à la London University et dans plusieurs universités américaines à Paris. Ingénieur-économiste de lEcole centrale de Paris, diplômé de lEHESS et titulaire dune maîtrise dhistoire de lart (Paris I), il prépare un doctorat sur «le commerce de lart moderne à Paris sous le Second Empire». Imprimer
Lexposition Passions privées, en 1995, avait marqué le retour en grâce de la figure du collectionneur privé dans un paysage artistique français, jusqualors dominé par les institutions publiques. Depuis cette date, lintérêt pour la figure de lamateur dart na cessé de croître, démontrant combien lart, sil est de responsabilité publique, est avant tout une affaire de personne. Cest ce que met admirablement en lumière le magnifique ouvrage que Susanne van Hagen a dirigé aux Editions Somogy.
Loin dêtre un ouvrage de sociologie théorisant sur la figure de lamateur, Chercheurs dart est au contraire une galerie de portraits de vingt-deux collectionneurs, parmi les plus importants. Sils partagent une même passion absolue pour lart, chacun vit dans un rapport aux oeuvres ou aux artistes singulier, qui change en fonction de leurs histoires, parcours, rencontres que nous révèlent Susanne van Hagen et Irène Gludowacz dans des textes biographiques vivants, documentés et précis. Chacun témoigne de lengagement exemplaire dhommes et de femmes qui consacrent la part la plus importante de leurs moyens à acquérir des uvres, dhier mais surtout daujourdhui. Ces «passions privées», loin dêtre purement égoïstes, saccompagnent souvent de donations publiques ou par la création de fondations dintérêt public.
Cest aussi ce désir de partage qui a incité ces amateurs dart engagés à ouvrir les portes de leur maison, ou de leur fondation, au photographe Philippe Chancel, que les lecteurs de Connaissance des arts connaissent déjà pour ses reportages photographiques. Le temps de quelques pages, le lecteur est invité à pénétrer chez Pierre Bergé qui reçoit assis sous un impressionnant tableau de James Ensor, entourés de bronzes, vases, livres anciens qui évoquent les cabinets damateurs du XVIIe siècle. Plus loin, on pénètre dans la véritable caverne dAli Baba du new-yorkais Hubert Neumann : des tableaux de Juan Gris, Paul Klee, Fernand Léger, Giacometti, Chaissac voisinent avec des uvres dartistes pop comme Lichenstein ou dhyperréalistes comme Chuck Close. Les murs sont tellement couverts dautres chef-duvres de Basquiat, Haring, que les Picasso, Dubuffet sont posés à même le sol, à côté de sculptures de Xavier Veilhan, Duane Hanson ou Jeff Koons. Quelques pages en arrière, lunivers non moins impressionnant de Giuliano Gori évoque plutôt le principe du studiolo de la Renaissance, dans lequel chaque uvre a sa place. A côté des grands maîtres du XXe siècle, le collectionneur toscan a demandé à des artistes de réaliser des projets spécifiques pour le parc de 45 hectares de sa villa du XVIIIe siècle, perchée sur les hauteurs de Pistoia.
Outre la part de rêve que nous offrent ces visites dans lintimité même de grands amateurs dart, lintérêt dun tel voyage est de redonner une certaine forme de vie à des uvres que lon est plutôt habitué à voir accrochées solennellement aux cimaises des musées. Découvrir une sublime Etude de Francis Bacon au dessus dune tablette encombrée de papiers, à côté de vieux cartons et dun sac en plastique Toys R Us, rend le tableau dautant plus émouvant et familier. Réciproquement, un baiser en marbre blanc de Jeff Koons et de la Cicciolina photographié devant la piscine holywoodienne de Dakis Joannou exacerbe le côté kitsch et dérisoire de la coqueluche des milliardaires.
En montrant ces uvres dans un environnement le plus souvent domestique, et non muséal, ce livre repose la question de la destination des uvres dart, qui occupe les débats depuis que Quatremère de Quincy, dès 1815, a souligné limportance du contexte dexposition dune uvre dans lexpérience qui en est faite. A nen pas douter Chercheurs dart se range du côté de ceux qui comme Robert Filliou, pensent que «dun point de vue artistique, lart na pas besoin de scène» et quil «se fait là où on habite»...
Jérôme Poggi ( Mis en ligne le 05/12/2005 ) Imprimer | | |
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