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De vies et leurs couacs
Pascal Mercier   L´Accordeur de pianos
10/18 2010 /  10 € - 65.5 ffr. / 599 pages
ISBN : 978-2264049707
FORMAT : 11cmx18cm

Première publication en août 2008 (Libella-Maren Sell)
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Pascal Mercier, encore peu connu en France, est un Suisse alémanique, philosophe de formation, auteur de trois romans qui enthousiasmèrent la critique allemande au point d'être comparés aux oeuvres de Thomas Mann et de Max Frisch. Le dernier, Train de nuit pour Lisbonne, connut le succès qui lui permit de franchir les frontières de l'Hexagone et donner envie aux éditeurs de s'intéresser au reste de son oeuvre. C'est ainsi que paraît en France en 2008 L'Accordeur de pianos, son deuxième roman (aujourd'hui en format poche chez 10/18).

L'intrigue, à première vue, ressemble à s'y méprendre à celle d'un roman policier : Frédéric Delacroix, habile accordeur de pianos, est arrêté à Berlin après avoir, en pleine représentation de La Tosca de Puccini, assassiné le célèbre ténor italien Antonio di Malfitano. Patrice et Patricia, ses jumeaux, atterrés par le geste incompréhensible de leur père, accourent dans la capitale allemande pour tenter de comprendre ce qui s'est réellement passé. Lors de leurs brèves retrouvailles à Berlin, après que leur père a été mis en prison, ils se promettent d'écrire, chacun de son côté, le récit de leur enquête respective sur la genèse de cet acte insensé. Le roman se structure autour des quatorze cahiers, sept chacun, que les jumeaux doivent s'échanger au terme de leur rédaction.

Pourtant, l'apparentement au roman policier s'arrête là : le meurtrier, l'arme et le lieu du crime sont connus dès les premières pages, et si c'est bien une enquête à double voix, ou plutôt à deux plumes, qui est au coeur de ce récit touffu, tenant le lecteur en haleine jusqu'aux dernières pages, elle porte plus sur les protagonistes du drame que sur l'assassinat en soi. En effet, au-delà de la personnalité du meurtrier, c'est toute une histoire familiale qui est dévoilée ici, avec sa part de secrets, de non-dits, de sentiments troubles ou inavouables, mais aussi de rancoeurs, de rancunes et de renoncements, qu'on peut porter comme un fardeau une vie durant, et transmettre, comme des gènes, à ses enfants.

Ainsi, en cherchant à mieux comprendre la figure tutélaire du père, l'accordeur de pianos, compositeur d'opéras médiocres, qui a passé sa vie à attendre un succès qui n'est jamais venu, les deux jumeaux sortent de l'ombre le personnage de la mère, ancienne danseuse rongée par la dépendance à la morphine, et découvrent peu à peu une autre histoire, aussi romanesque que tragique. Avec, en filigrane, leur drame personnel, celui de deux jumeaux liés par un amour si fort qu'il a un jour débordé du cadre fraternel et leur a intimé le besoin de se séparer définitivement. Il aura fallu le crime de leur père pour qu'ils parviennent enfin à reconstituer le puzzle de leur histoire familiale, relier entre eux des événements a priori disparates, et surtout se donner une chance, en liquidant le passé, de s'offrir un nouveau présent.

Ce qui permet au roman de ne pas sombrer dans le pathos, c'est la finesse avec laquelle Mercier, par l'intermédiaire des deux jumeaux, dénoue la trame familiale. Le personnage central, ce père, dont la recherche insatiable de reconnaissance aura finalement détruit sa vie et celle de ses proches, est particulièrement bouleversant : il y a de la tragédie grecque dans cette manière de camper les infortunes d'un homme dont le destin s'accomplit finalement presque par hasard.

A travers ces quatre vies – deux vies gâchées en ce qui concerne le père et la mère, et deux possibilités de résilience pour Patrice et Patricia – , on retrouve des thèmes visiblement chers à Pascal Mercier : l'auteur s'interroge d'abord sur la vanité de la recherche du succès, comment celle-ci peut aisément faire passer à côté de sa vie, et dans le cas de l'accordeur de pianos, le pousser à commettre un crime qu'il n'avait pas voulu. Et puis, surtout, il y exprime son amour des langues, qu'elles soient allemande, française ou espagnole, ainsi que sa foi dans le pouvoir de l'écrit : comme dans Train de nuit pour Lisbonne, où il était question d'un homme qui abandonnait tout pour partir à la recherche d'un auteur portugais inconnu dont il avait juste lu quelques lignes, dans L'Accordeur de pianos, c'est l'écrit des deux jumeaux qui se veut salvateur.

Puissance et beauté de la langue, des langues, qu'elles soient écrites, parlées ou chantées, dans un roman où la musique est toujours présente : celle des opéras mésestimés du père, celle qui accompagnait la mère lorsqu'elle dansait encore, celle enfin des pianos que Frédéric Delacroix accordait si bien et qui résonne, encore, longtemps après qu'on aura refermé ce très joli roman.


Natacha Milkoff
( Mis en ligne le 17/02/2010 )
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