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Poches -> Littérature |
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L’enfer, c’est les autres (encore et toujours) | | | Jacques A. Bertrand Les Autres, c’est rien que des sales types 10/18 2014 / 6,10 € - 39.96 ffr. / 117 pages ISBN : 978-2-264-05547-7 FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm
Première publication en août 2009 (Julliard)
L'auteur du compte rendu : Ancien élève de lÉcole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon, agrégé de Lettres Modernes, Fabien Gris est actuellement moniteur à lUniversité de Saint-Etienne. Il prépare une thèse, sous la direction de Jean-Bernard Vray, sur limaginaire cinématographique dans le roman français contemporain. Imprimer
Jacques A. Bertrand, connu surtout pour ses interventions dans lexcellente émission «Des papous dans la tête» sur France Culture, propose ici un recueil de courts textes (quatre à sept pages chacun) intitulé Les Autres, cest rien que des sales types. Louvrage se présente comme une sorte de nouvel ensemble de «caractères», au sens de La Bruyère, qui serait revisité entre temps par les chroniques animalières du professeur Burp de la Rubrique-à-brac de Marcel Gotlib. En effet, Jacques A. Bertrand choisit de dresser vingt-trois portraits de «types» caractéristiques de notre société française contemporaine : cela va du «parisien» (et bien sûr, logiquement, du «provincial») au «psychorigide», du «végétarien» à «lenthousiaste», en passant également par «le jeune» ou «lagélaste» (vieux mot présent chez Rabelais, et heureusement ressorti des tiroirs, désignant quelquun qui ne rit jamais).
Le ton adopté par lauteur est pince-sans-rire ; ses textes se présentent comme des sortes dhybrides : entre la notice encyclopédique, la démonstration dérudition étymologique et littéraire, et la description (pseudo)scientifique à tendance «entomologiste». Mais, évidemment, lobjectivité que cela pourrait supposer nest pas de mise : outre bien sûr la volonté de donner à lensemble un aspect humoristique, il y a un point de vue satirique, voire misanthrope, qui est ici revendiqué, ne serait-ce que par le titre même du recueil. Il sagit de pointer des travers, de souligner le ridicule de tel ou tel comportement «inauthentique» (pour rester dans le lexique sartrien discrètement présent dans lintitulé de louvrage). Ce nest donc pas tout à fait un hasard si Jacques A. Bertrand termine larticle consacré au «philanthrope» par un éloge de son parfait opposé : le misanthrope («le misanthrope est un brave type»).
Néanmoins, doù nous vient le relatif sentiment de déception que procure la lecture de ce livre ? Cela semble tout dabord provenir de lobjet en lui-même : recueil de chroniques initialement écrites dans le cadre des émissions des «Papous», il souffre dune sorte de facticité propre à tout texte composé de morceaux épars, assemblés a posteriori dans un but éditorial. La voix de lauteur, lecteur de sa propre prose à la radio, manque également : une chronique qui a été pensée initialement pour une mise en voix radiophonique est toujours plus efficace et plus drôle «à lécoute» que dans une lecture silencieuse. Leffet de distance et de malice qui, à la radio, produit la connivence avec lauditeur sestompe. Les textes, de plus, relèvent dune écriture qui ne convainc pas toujours : cherchant le jeu de mot ou la déclinaison lexicographique (larticle sur le «con» examinant, par exemple, les nuances entre «vieux con», «gros con», «petit con», etc.), certains passages peuvent paraître forcés, à la lecture tout du moins.
Un élément plus gênant vient du point de vue adopté. Loin de nous lidée que la méchanceté et la misanthropie sont à bannir : au contraire, la véritable satire est malheureusement trop absente de notre société actuelle, souvent frileuse et encline à de bons sentiments absolument écurants ; il faudrait être gentil avec tout le monde, impérativement, dans la rue comme sur les plateaux télévisés. Mais laspect ironique du titre du livre, avec sa tournure familière et volontairement «beauf», semble dire : 1) que lauteur lui-même ne sexempte pas dappartenir à tel caractère brocardé cela est tout à son honneur ; 2) que lauteur ne croit pas trop lui-même à sa satire, que sa méchanceté nest pas totalement assumée, quil ne faut pas la prendre au pied de la lettre. Ce second point est plus problématique, et la lecture de lensemble - finalement assez «gentil» - paraît le confirmer.
Si lon note quelques piques bienvenues adressées aux masses et groupes de notre petite France (pointant notamment leurs comportements électoraux préjudiciables et irresponsables
), on aurait aimé que Les Autres, cest rien que des sales types soit plus frontalement et plus explicitement «misanthrope», plus méchant et mordant. On attend donc que Jacques A. Bertrand laisse pointer plus franchement le Léon Bloy mâtiné de Jules Renard qui est en lui et quil ne fait quesquisser ici.
Fabien Gris ( Mis en ligne le 17/01/2014 ) Imprimer | | |
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