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La Shoah autrement ?...
Yann Martel   Béatrice et Virgile
J'ai lu 2011 /  6 € - 39.3 ffr. / 221 pages
ISBN : 978-2-290-03043-1
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication française en août 2010 (Flammarion)

Traduction de Nicole Martel et Émile Martel

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Le dernier livre de Yann Martel part d'un constat : soixante ans après, il semble encore très difficile d'aborder la tragédie du génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale par la fiction littéraire. Pour Yann Martel, à la différence d'autres événements de l'histoire comme les guerres ou les révolutions, qui peuvent être racontées avec un début, un milieu et une fin, les génocides sont des drames qui échappent tant à la compréhension humaine qu'il n'est pas possible de recourir à une forme de fiction classique pour en rendre compte. Or la fiction est nécessaire pour que le passé ne tombe pas dans l'oubli, malgré les travaux des historiens : s'il est certain qu'on n'oubliera jamais les guerres mondiales, c'est aussi parce que les fictions écrites à leur sujet ont permis d'ancrer leur histoire dans la mémoire collective.

Yann Martel imagine ainsi l'histoire d'Henry, écrivain à succès qui, pour aborder d'une manière inédite l'holocauste, propose à ses éditeurs un «livre tête-bêche», (flip book en anglais), constitué dans sa première moitié d'une fiction sur la Shoah, et dans sa seconde, en prenant le livre à l'envers, un essai sur le même thème, c'est-à-dire «un livre avec deux portes d'entrée, mais sans porte de sortie». On n'en saura malheureusement pas plus sur son flip-book, car les éditeurs et historiens conviés en première lecture rejettent radicalement le projet : «le roman manque de dynamisme et l'essai manque d'unité», lui explique une éditrice. La déception et la frustration combinées d'Henry sont telles qu'il en perd le goût de l'écriture, décide de déménager dans un autre pays, et d'abandonner tout travail littéraire.

Ou presque, car il accepte de maintenir avec ses lecteurs une correspondance à laquelle il s'attelle consciencieusement, comme un dernier fil le reliant à son travail littéraire passé. Et c'est par le biais d'un lecteur qui lui envoie un jour le manuscrit curieux d'une pièce de théâtre mettant en scène des animaux personnifiés, l'âne Béatrice et le singe Virgile, qu'Henry se retrouve rattrapé par son ancienne obsession. Intrigué par les scènes qu'il a lues, il finit par rencontrer leur auteur, un vieux taxidermiste peu causant, qui s'est réservé un coin de bureau au milieu de ses animaux empaillés pour écrire un drame étrange mettant en scène des animaux martyrisés, dans lequel Henry croît reconnaître une métaphore animalière de l'holocauste.

Par une astucieuse mise en abîme, l'histoire de l'écrivain et du mystérieux taxidermiste devient en fait le livre qu'Henry avait renoncé à publier : une œuvre multiforme, mêlant le questionnement intellectuel propre à l'essai, la forme romanesque centrée autour des péripéties d'Henry, et l'écriture théâtrale, avec la retranscription de passages entiers du drame animalier composé par le taxidermiste. Comme pour lui donner de la profondeur, le roman fourmille de références littéraires, de l'évocation de Flaubert et sa Légende de saint Julien l'Hospitalier aux clins d'œil à La Fontaine et ses animaux personnifiés, sans oublier Dante lui-même convoqué par l'adoption des prénoms des personnages de L'Enfer.

Cela suffit-il pour en faire un bon roman ? S'il dérange certainement, provoquant chez le lecteur un réel malaise, c'est pourtant moins par le choix de sa forme audacieuse ou de son intrigue, dont la fin réserve néanmoins son lot de surprises, que par la sensation que l'auteur n'a rempli son pari qu'à moitié : la première partie du livre convainc en effet dans sa description d'un auteur paralysé autant par le succès que par la difficulté à écrire autrement sur la Shoah ; en revanche les pages consacrées à l'histoire du taxidermiste, au mieux n'émeuvent guère, au pire agacent. Comme si Yann Martel, véritablement effrayé par son sujet, ne l'avait finalement abordé que du bout de la plume ? Ou bien parce que la métaphore animale pour évoquer le génocide est finalement trop faible ici pour pouvoir fonctionner ? On n'en retiendra que l'exercice de style, qui montre ici ses limites.


Natacha Milkoff
( Mis en ligne le 29/09/2011 )
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