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De l’Histoire comme miroir
Alexandre Jardin   Des gens très bien
Le Livre de Poche 2012 /  7,10 € - 46.51 ffr. / 305 pages
ISBN : 978-2-253-16235-3
FORMAT : 11cmx18cm

Première publication en janvier 2011 (Grasset)

L'auteur du compte rendu : Arnaud Genon est docteur en littérature française, professeur certifié en Lettres Modernes. Enseignant à Casablanca, il est Visiting Scholar de ReFrance (Nottingham Trent University). Auteur de Hervé Guibert, vers une esthétique postmoderne (L’Harmattan, 2007), spécialiste de l’écriture de soi dans la littérature contemporaine, il a cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org

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Alexandre Jardin était jusqu’ici connu pour ses romans à la tonalité fleur bleue. Cela, il le concède lui-même dès le début de son dernier ouvrage, Des gens très bien, qualifiant ses précédents textes «de romans ensoleillés» et avouant avoir été «amoureux du rose». Désormais, «Fini de rire» – c’est là le titre de la première partie –, il trempe la plume dans l’encre sombre du vichysme pour retracer le parcours lavaliste de son grand-père paternel, Jean Jardin dit le Nain Jaune.

Avant de se pencher sur la figure de son aïeul, sur les crimes desquels il se serait fait le complice – notamment la rafle du Vél d’Hiv, le 16 juillet 1942 –, Alexandre Jardin se livre à son propre examen de conscience. Après avoir versé dans les bons sentiments voire le sentimentalisme, il cherche à se présenter en mauvais garçon, mauvais héritier, trahissant la famille pour ne pas se trahir lui-même. Il va même jusqu’à prendre ses enfants à témoin, déclare vouloir se «laver le cœur» pour s’engager «moins douloureusement dans la deuxième moitié de [s]a vie». La Shoah, nous dit-il, a toujours été son «horizon». Il y a dans ces premières déclarations d’intention, dans cette volonté de rupture d’avec sa propre image et ses précédents livres, dans cette manière de s’ériger en homme – et donc en écrivain – nouveau quelque chose de gênant.

Alexandre Jardin, c’est l’impression qu’il donne tout au mois, prend la pose, celle de l’homme seul face à son destin, au mensonge qu’il décide de combattre contre tous. Il sera, lui, l’homme de la vérité historique contre les historiens, tout au moins celle de la vérité familiale contre son propre père… A l’exception près que la récente polémique quant au rôle de son grand-père dans le régime de Vichy démontre qu’il serait ici majoré et que par conséquent, la vérité doit se trouver ailleurs… Peut-être dans le projet beaucoup plus autobiographique qu’historique que porte Des gens très bien …

Jean Jardin aurait pu être un personnage en or massif. Il fut «du 20 avril 1942 au 30 octobre 1943, le principal collaborateur du plus collabo des hommes d’Etat français : Pierre Laval». Alexandre Jardin, son petit-fils, veut lever le voile qui a longtemps recouvert cet homme considéré comme «propre dans un bain de boue. Une sorte d’archange qui aurait couché sans séquelles avec le diable». Là où l’historien avance de manière nuancée dans tout ce qui a trait à cette période de l’histoire, Alexandre Jardin propose lui un portrait monochrome de son grand-père, où domine une dichotomie simpliste et manichéenne : le salaud politique était aux yeux de tous un homme bien à la ville… Il est un individu infâme qui ne pouvait pas ne pas savoir. «Comme si le directeur de cabinet de Pierre Laval – qui se frottait quotidiennement aux représentants d’Hitler – avait pu s’illusionner sur la bienveillance des nazis à l’égard des Juifs». Il devient même le «double» de Pierre Laval, «Pour ne pas dire sa conscience»… Il ne s’agit pas ici de participer à la querelle que se sont livrée les historiens et la famille autour et contre cet ouvrage (Gabriel Jardin, Pierre Assouline…), mais de s’interroger sur les motivations d’un tel revirement de situation dans le regard porté par Alexandre Jardin sur son père et son grand-père, alors qu’il avait habitué ses lecteurs à des romans familiaux pour le moins consensuels et accommodants.

Dans Des gens très bien, le dévoilement du secret de famille et de sa supposée portée historique apparaît comme un moyen d’aborder d’autres thématiques, celle du mensonge et de la difficile émergence de la vérité, celle de la culpabilité, du fardeau qu’elle constitue, celle de l’héritage génétique : «Scandale absolu, insensé, à hurler, qui donne envie de se purger de son ADN». En outre, parler du grand-père devient très souvent un prétexte malhabilement déguisé pour parler de soi, pour exprimer sa propre douleur, celle d’être le descendant d’une telle lignée. Ce malaise, ce mal être compréhensibles, sûrement ressentis, sont cependant exposés avec complaisance, appelant le lecteur à compatir avec l’auteur  – «A chaque fois que je flaire le fantôme de mon grand-père, un froid mortel me gagne. Je tousse alors ou je ris, pour me réchauffer» – ou à l’admirer pour le courage et la force de son entreprise – «Il (Jean Jardin) ignore encore que l’un de ses petits-enfants, le petit Alexandre, moins sous l’emprise de son charme, viendra plus tard interroger ses mânes, appuyé sur d’autres connaissances ; et paniqué à l’idée que son propre regard puisse faire de lui le complice d’un silence de famille».

On ne sait pas si Alexandre Jardin sert véritablement l’Histoire avec Des gens très bien – probablement pas – mais elle devient assurément, elle, le lieu où Alexandre Jardin contemple ses cicatrices et les donne à voir. L’Histoire devenue miroir, mais un miroir constitué des eaux troubles de l’Histoire – remuées, détournées au service d’un certain narcissisme – ne sera jamais, finalement, qu’un miroir déformant…


Arnaud Genon
( Mis en ligne le 20/02/2012 )
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