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Poches -> Littérature |
| Annie Saumont Le Tapis du salon Pocket 2013 / 5,70 € - 37.34 ffr. / 165 pages ISBN : 978-2-266-23403-0 FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm
Première publication en janvier 2012 (Julliard)
Voir également :
Annie Saumont, Le Pont, Editions du Chemin de Fer, Mars 2012, 14 , ISBN : 978-2-916130-40-8 Imprimer
Menue et discrète, celle que la critique unanime salue comme étant la reine ou la grande dame de la nouvelle francophone a commencé lannée 2012 en publiant chez ses éditeurs favoris deux nouveaux ouvrages : Le Tapis du salon, recueil de dix neuf courts ou très courts récits (aujourd'hui en format poche chez Pocket), et Le Pont, Vu par Philippe Lemaire, qui, à linstar des autres parutions chez ce passionné de textes rares, développe une variation polyphonique sur un thème, précieusement illustrée par un plasticien contemporain.
Virtuose du «verbe bref» selon le raccourci choisi par Josyane Savigneau (Le Monde des Livres du 2 mars 2012), Annie Saumont nous offre, depuis plus de quarante ans à travers quelque trois cent titres, un ensemble de textes extrêmement condensés dune rare acuité. Bien quelle se défende de toute construction psychologique ou sociale elle na aucune envie de sembarrasser dexplications dans ces registres et tant mieux rares sont les ouvrages, y compris ceux des spécialistes, qui présentent une telle finesse dobservation clinique des situations humaines dans des contextes aussi diversifiés.
Lauteure marque toutefois sa préférence envers le monde des sans grades et des sans voix : bidasses plutôt que colonels (Le Pont), cancres ou casse-cous au lieu de brillants sujets, autant de anti héros, affreux jojos et divers laissés pour compte auxquels elle restitue parole et existence avec une secrète tendresse (Je te tiens par la main, «Donne-moi la main petit frère») non dénuée dhumour. La plupart des récits sattardent sur ces pauvres du corps ou de lesprit, attachants malgré eux, chez qui la rencontre avec le moindre événement fait éclater les semblants de repères. Parce que jonchée de multiples meurtrissures, subies ou cruellement infligées, lenfance, lenfance troublée en particulier, inspire de nombreuses scènes. Dans dautres écrits, place est offerte aux malfrats ordinaires (Apprivoise-moi), aux meurtriers occasionnels (Le Tapis du salon III) ou accomplis, provisoirement mis en relief par les circonstances, ou encore aux «petites» histoires familiales porteuses de secrets non avouables pourtant révélés. Peu de personnages sont réellement auréolés, hormis «la maîtresse», «belle et qui sait tout» (Le Pont), peut-être en discret hommage à lÉcole de Jules Ferry.
Laccent est mis sur des faits en apparence insignifiants, sur de quelconques incidents ou accidents de la vie dont la survenue inopinée dans un système chaotique, tel leffet papillon bien connu, détermine des lignes de fracture irréversibles suivant dinfinies variations. Ici un cri, là un scarabée dans un verre, un geste malencontreux
ces petits riens qui tout à coup démentent les évidences du quotidien aux confins de la raison : «je nai pas taché le tapis du salon» (Le Tapis du salon I, Je suis pas un camion). Si plusieurs nouvelles semblent se jouer des conventions sociales habituelles (Quelques fois dans les cérémonies, Moi, les enfants jaime pas tellement), des lieux saints sans espérance (Pour Marie, Dieu regarde et se tait), dautres relèvent de la franche transgression des interdits du meurtre et/ou de linceste (Si on les tuait), parfois déplacés sur des recommandations dérisoires (Et ne va pas te promener sous la pluie sans ton K-way). Laspect le plus remarquable de ces brefs récits réside dans lart très particulier de la chute qui ne laisse jamais le lecteur indemne, tenu de penser limpensable et de départager le faux du vrai pour préserver ses propres repères.
Car Annie Saumont ose tout. De son écriture acérée, au scalpel, dit-on , impertinente, qui à bien des égards évoque les provocations de «sales gosses» rebelles, en tant que traductrice aussi, entre autres de J.D. Salinger, fidèle à lexpression originale, elle adopte tous les styles, tous les genres, tous les langages, toutes les orthographes («koman sa sécri émé ?»), des phrases sans verbe, des verbes sans phrase, en écho de relations chaotiques au sein desquelles le recours au factuel ou à lagir tient lieu de continuité. Dérangeantes banalités, peurs délicieuses, à lencontre des attentes, des stéréotypes et des évidences : au contraste des situations correspond un déploiement doxymores. Des lapalissades (Le Lait est un liquide blanc) rejoignent des sommets poétiques (Falaises). Fausses fictions de vraies détresses (Histoire). Nul nest besoin dexpliquer ou de théoriser. Encore moins denjoliver. Sans complaisance ni fioritures, avares dadjectifs qualifiants, faits et verbes nus suffisent pour «traduire», à la virgule près ou sans, ces univers marginaux, disjonctés, disloqués parfois, à la croisée inattendue de rêves fous et dune confondante réalité. Lorsque la forme épouse à ce point le contenu, lécriture confine au chef duvre.
Invitée à la ''Grande Librairie'' le 19 janvier 2012 à confier les secrets de son art, la jeune octogénaire affirme en toute modestie, en dépit de sa longue expérience et de son inlassable fantaisie, ne détenir ni recettes ni magie et entend suivre son inspiration. Le Tapis du salon et Le Pont offrent un aperçu fidèle de son très grand talent à plusieurs reprises récompensé : Goncourt de la Nouvelle 1981 (Quelquefois dans les cérémonies), Grand prix de la nouvelle de la Société des gens de lettres 1989 (Je suis pas un camion), Prix Renaissance de la nouvelle 1993 (Les voilà quel bonheur), Prix de lAcadémie française 2003 (Un soir à la maison). Chaque parution suscite létonnement et lenvie pour le lecteur de découvrir ou de redécouvrir les précédentes. Cependant, dune édition à lautre, quelques textes se chevauchent ; certains, épuisés (Un mariage en hiver, Vu par Vincent Blizen, 2005), se marchandent comme une denrée rare.
Il serait grand temps aujourdhui dhonorer lensemble de cette uvre, importante, originale, parfaitement représentative dun genre littéraire français bien défini, en la rassemblant en un ou deux beaux volumes. Dans la Bibliothèque de La Pléiade par exemple.
Monika Boekholt ( Mis en ligne le 07/09/2013 ) Imprimer | | |
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