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Poches -> Littérature |
| Marc-Édouard Nabe Lucette Gallimard - Folio 2012 / 7.50 € - 49.13 ffr. / 451 pages ISBN : 978-2-07-044882-1 FORMAT : 11cm x 18cm Imprimer
La littérature peut-être grande, lédition lest parfois moins. La parution en poche de Lucette de Marc-Edouard Nabe (né en 1958) résume à elle seule le contraste qui peut exister entre un texte, un livre et son auteur. Sans oublier les compromissions des deux parties !
Rappelons les faits aux chanceux qui nauraient pas suivi la guerre que Nabe a déclarée au monde de lEdition depuis 2009 : Écuré par le peu de considération (littéraire et financière) des maisons parisiennes à son égard, Nabe publie depuis 2010 à compte dauteur via une plateforme Internet proposant à ses fidèles lecteurs lachat dun livre autoédité. Pas de copyright, ni de vente en librairie, les livres de Nabe (dont il a racheté les droits pour la plupart) sont disponibles sur Internet et dans quelques boutiques excentriques comme une boucherie ou un magasin bio à Paris. Forcément, le prix est plus élevé et Nabe peut se féliciter de toucher 70 % du montant. Il a appelé cela l''anti-édition''.
Et voilà quen pleine révolution éditoriale, Lucette de Marc-Edouard Nabe sort en Folio ! Depuis 25 ans, lécrivain criait au scandale de ne pas être publié en poche et maintenant quil se sépare définitivement de lédition traditionnelle, Gallimard le rattrape en lui proposant Lucette (publié en 1995) en format réduit afin de célébrer le centième anniversaire de la veuve de Louis-Ferdinand Céline. Comme lindique son site, Nabe a accepté la proposition en fixant ses conditions (récupération des droits et couverture de lauteur), mais, comme souvent, lécrivain saccommode des circonstances et montre à quel point il est difficile de ne pas se compromettre. Et il choisit la pirouette qui consiste à faire croire quil est encore en position de force quand, en fait, on le voit céder sur ses grands principes. Et donc, le combattant acharné de lédition parisienne publie en livre de poche Lucette, son roman sur la veuve de Céline !
Nabe est en fait un chroniqueur des années 1980-90. Ni romancier, ni même pamphlétaire, il sinscrit dans une vague typiquement moderne qui consiste à parler du réel sous différents genres littéraires. En cela le terme de mémorialiste pourrait lui convenir. La particularité de lécrivain, cest quen presque 30 ans, et mis à part Le Bonheur (1988) et LEnculé (2011), son travail sur la forme narrative ne diffère pas ou presque selon le genre abordé. Lucette est davantage une chronique romancée quun récit réaliste, tout comme le reste de son uvre narrative. Nabe part du réel pour y apporter sa contribution littéraire, souvent puisée dans le cocasse, le grotesque, le merveilleux, la transgression, le vulgaire ou le poétique ; mais la chronique mondaine reste souvent le principal moteur de lintrigue. Si lon apprécie son travail sur labsence de théorie narrative voire même denjeu stylistique, on peine parfois sur ses thématiques bourgeoises (typiques du monde des lettres parisien quil combat tant) et ses obsessions paralittéraires (liées au tropisme autobiographique).
Lucette Almanzor (née en 1912) est la veuve de lécrivain Céline (1894-1961), retirée à Meudon au milieu de ses animaux de compagnie, et Nabe lui consacre tout un livre. Les personnages, comme souvent chez lauteur, sont des personnalités vivantes, ici Lucette, Stévenin, Luchini, Zagdanski, Johnny, etc., ou mortes comme Céline, Rebatet, Le Vigan, Nimier, et d'autres. Le sujet est simple : Jean-François Stévenin veut adapter Nord au cinéma et fréquente Lucette pour se rapprocher du mari défunt. Sensuit une série de petites anecdotes sur lécrivain Céline, sur le couple quil formait avec la danseuse, mais aussi des discussions sans fin sur son uvre, des débats tout aussi longs sur le personnage, et des mondanités typiquement littéraires et parisiennes dans lesquelles la veuve Destouches se trouve embarquée. Pas de quoi rêver donc.
Nabe, conscient dêtre exclu des hautes sphères du génie célinien, se contente décrire comme il parle, effleurant seulement la langue de son père spirituel. Du coup, sa prose flirte davantage avec lhistoire littéraire quavec la création purement esthétique. Sans construction établie, souvent dune manière populaire, usant de jeux de mots affligeants dont il a le secret ou de petites blagues redondantes (du style «Ils ne sont pas interdits [parlant des livres de son défunt mari ], dit Lucette, ils sont épuisés. Je suis épuisé de le répéter
»), Nabe napporte rien de bien transcendant. En fait, faire parler Lucette, cest évoquer Céline ou du moins ce qu'il reste de lui. Et Nabe, sachant quil ferait du sous-Céline sil sattaquait directement au monstre, préfère donc faire du Lucette. Cest en fait la limite de cette chronique très bavarde, où Nabe intègre même ses pires ennemis culturels (Lucette allant voir Johnny en concert à Bercy par exemple !). Nabe ne parvient pas à se sortir de son milieu, finalement, piégé par sa position décrivain curieux et un entourage fait de paillettes, qui lui est en fait consubstantiel. Du coup, ce roman ''lucettien'' devient une chronique ''meudonnaise''. Lucette, elle, toujours en ballottage, tente de suivre le mouvement avec la féerie que Nabe lui confère, souvent de manière bien pesante...
Pour un premier ouvrage publié en poche, on aurait préféré un autre roman de Nabe, plus abouti, et moins éphémère, comme Je suis mort, Visage de turc en pleurs ou Alain Zannini. Qui sait, Gallimard saura-t-il à nouveau le convaincre
?
Jean-Laurent Glémin ( Mis en ligne le 10/10/2012 ) Imprimer
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