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Poches -> Littérature |
| Thomas B. Reverdy La Montée des eaux Seuil - Points 2010 / 5.50 € - 36.03 ffr. / 141 pages ISBN : 978-2-7578-1948-7 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication en août 2003 (Seuil) Imprimer
Thomas a perdu sa mère, et, par une synchronie opportune, le monde seffondre autour de lui, avec lui. Atlantide moderne, la terre des hommes retourne par les hommes dans la pureté cristalline des eaux. Les tempêtes rongent peu à peu les cités humaines où les rats se mettent à la nage.
Sur cette scène apocalyptique, le narrateur, alternant le «Je» et le «Il», décrit le malaise existentiel dun homme encore enfant que sa mère a quitté. Le ciel sest assombri en dessous du soleil maternel : Thomas ne voit plus la lumière, celle de souvenirs affadis, devenus étranges, dune mère de plus en plus chimérique. Abêti par son deuil, par lalcool qui sert à tenir debout, tant bien que mal, par cette pluie incessante qui recouvre peu à peu les rues et les squares, où se diluent les berges du fleuve, il attend douloureusement la fin
Ce roman diluvien, noir, glauque et métallique, est dune beauté rare, saisissante, chavirante. Lauteur y décrit dans une langue veloutée, précieuse mais acide, où la colère et la tristesse samalgament pour donner un mélange engourdissant, la somme de tous ses maux : lorphelinat, la fin des temps, la solitude, le chômage, la nuit
Alors, on lit ce livre dans l'état de ces carpes polluées agonisant sous les regards concupiscents de rats qui sadaptent : à lagonie, en suffoquant. Mais de cet étranglement littéraire naît un plaisir, une sensation : la perte de contrôle, le flirt avec létrange, le flou. On partage le mal-être shakespearien de ce jeune homme esseulé, prince dun royaume où il ne fait plus bon vivre. On finit par ressentir la même ivresse poisseuse, une sorte de délire poétique, de fascination face à la décadence. Il y a une certaine beauté dans lévocation dun monde délavé, à la dérive, blanc, noir et grisâtre comme une estampe à lencre de seiche.
Lévocation métaphorique de cette cité fondant dans ses flaques, de cette inéluctable submersion, est aussi un cri dalarme très fin de siècle : les dérèglements climatiques, léconomie boursière, ces emplois ubuesques pour lesquels sont exigés des CV en béton armé, la «mal bouffe», etc
sont les parques dun déclin annoncé. Mais tout cela ne forme que larrière-plan du drame. Aucune lourdeur, aucun message alter-mondialiste ne vient parasiter lhistoire du narrateur, même si cette scène colle à lhistoire parfaitement, limpliquant presque.
La Montée des eaux est un petit chef-duvre, un premier roman (2003) réussi. Écrit sans doute dans la douleur, il a cette intensité quon voudrait retrouver ailleurs. Sagit-il dun récit autobiographique ? Lauteur et le narrateur sont homonymes
Cest en tous les cas un moment pur de littérature, une de ces uvres où lintensité du propos est servie par une langue sublime, travaillée et coulante à la fois.
La noirceur de ce monde ny est pourtant pas totale, pas encore : sur ces cieux obscurs et en pleurs, le soleil, parfois, vient tenter une percée. Et dans ce monde ténébreux, la pluie et les larmes arrivent encore à être irradiées par lénergie dun amour, la présence dune Dulcinée, les reflets dorés dune plume qui trace et, surtout, la force de lamitié, insubmersible.
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 30/09/2010 ) Imprimer | | |
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