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Poches -> Littérature |
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De la matière dont on fait l’esprit | | | Michel Tournier Journal extime Gallimard - Folio 2004 / 5.30 € - 34.72 ffr. / 262 pages ISBN : 2-07-042937-7 FORMAT : 11x18 cm
Ouvrage paru initialement en octobre 2002 (La Musardine). Imprimer
Au fil des mois dune année fictive et prétexte, Michel Tournier nous invite à musarder avec lui dans la mine doù il extrait les pépites, thésaurisées avec un rare talent au coeur des livres qui ont fait sa réputation.
La mine de Michel Tournier est complexe : on y trouve plusieurs puits, des veines enchevêtrées, des filons étagés, des galeries parallèles ou sécantes. Les richesses qui en sont tirées sont dune grande diversité et témoignent de linsatiable curiosité et de lauthentique générosité de Tournier. Du comportement reproductif des palmipèdes à la froideur anticipée du tombeau, en passant par le souvenir des voyages, lévocation des maîtres, la nostalgie dun amour ou la simple évocation dune parole enfantine : tout est digne de considération pour lécrivain.
Privilégiant le rôle moteur de la géographie à celui de lhistoire, Michel Tournier a choisi de structurer ce recueil daphorismes, danecdotes et de réflexions à la manière dun journal, rythmé par le cycle des saisons qui chuchote à loreille du lecteur la grande respiration du monde. Les quatre éléments fondamentaux sont omniprésents, et, comme dans toute loeuvre de Tournier, chacun révèle deux faces antagoniques et consubstantielles. Cest le feu qui réchauffe et cest le feu qui détruit. Cest leau qui irrigue et cest leau qui noie. Cest la terre féconde et cest la terre putréfiée. Cest lair lumineux et cest lair glacial. Inexorable synthèse, le temps qui passe cautérise les plaies quil génère et résout définitivement la bivalence cosmogonique.
Impossible dévoquer ce dernier livre de Michel Tournier sans sattarder sur «extime», le séduisant néologisme quil a forgé pour intituler ce recueil. En effet, sil est une démarche qui est vitale à notre romancier, cest bien celle dune perpétuelle quête du réel, dune appropriation de lexistant pour le sublimer et nourrir ainsi le méta-physique. Rien de plus ennuyeux que le Moi aux yeux de Michel Tournier qui rejette absolument le «connais toi toi-même» socratique, impératif égotiste et frigide qui prive lhomme éphémère de la saveur dêtre. Autant dire que Tournier, dans ce Journal atypique, sécarte de la complaisance autocentrée, régressive et larmoyante qui pourtant constitue le critère de validité de lessentiel de la production littéraire contemporaine. Loin des sensations «minuscules» et vaines, Michel Tournier nous administre une thérapeutique dune louable efficacité pour comprendre que les accidents, loin dêtre des artifices trompeurs, sont les voies royales daccès à lEssence.
Guillaume Zeller ( Mis en ligne le 16/02/2004 ) Imprimer | | |
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