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Poches -> Littérature |
| Yôko Ogawa Hôtel Iris J'ai lu 2003 / 4 € - 26.2 ffr. / 158 pages ISBN : 2-290-32326-8 FORMAT : 11x18 cm
Roman paru une première fois en France en septembre 2000 (Actes Sud). Imprimer
Jeune et talentueuse écrivain, Yoko Ogawa nous fait redécouvrir lesprit littéraire japonais dune manière différente, qui lui est propre. Il serait possible de la dire romantique, selon les critères énoncés par V. Hugo dans sa Préface à Cronwell : en choisissant de trouver dans lhétérogénéité de la vie quotidienne le sujet de son oeuvre, lauteure séloigne des exigences dimmatérialité épurée. Mais elle saventure en réalité beaucoup plus loin en décidant de puiser spécifiquement dans la bassesse et le répugnant la source de lélégance de son écriture, dans une perspective stylistique finalement plus proche de celle de Lautréamont, quoique apaisée.
La rencontre narrée par Y. Ogawa na en effet rien du conte de fées classique, et le regard du lecteur, au fur et à mesure quil pénètre dans lunivers étrange de lhéroïne, Mari, sembourbe dans un cloaque amoral et douloureux. La jeune fille est très belle, elle a dix-sept ans et travaille sans répit dans un hôtel de seconde zone, dont sa mère est propriétaire. Ses journées sont rythmées par les courses alimentaires, le lavage à grandes eaux de la salle à manger, les lits à faire, les mépris et les avances repoussées - des clients... Aussi lorsquelle croise le regard impérieux dun homme, presque un vieillard, obligé de quitter lhôtel après y avoir provoqué un scandale à connotation trop nettement sexuelle, cest nantie de sa seule innocence quelle ressent une soudaine curiosité et laisse la fascination sinsinuer en elle.
A partir de cet instant, les paramètres rationnels seffacent devant lapparition dun monde de songes. Comme hypnotisée, Mari se soumet peu à peu à tous les caprices, jusquaux plus infâmes, du traducteur, ce vieil homme laid et timide, capable pourtant de se laisser emporter par de violentes et absurdes colères. Mais ne sagit-il pas plutôt pour elle déchapper à la mesquinerie dune vie étriquée, entre sa mère tyrannique et une multitude de personnages plus insignifiants les uns et les autres ? Si cest le cas, la voie choisie, celle du sadomasochisme, pose néanmoins clairement la question du consentement. En effet, les scènes damour sont en réalité des viols, et Mari ne semble obéir aux injonctions du traducteur que par terreur. Pourtant, il y a autre chose. La jeune fille a peur de perdre son amant, elle vit dans langoisse dêtre abandonnée par celui qui la torture et lhumilie. Cest donc aussi une réflexion sur létat amoureux et son irrationalité, sur légoïsme caractéristique de cet état. Cest, plus précisément, une interrogation sur la possibilité de donner un consentement libre, non pas tant dans une situation de violence, que plus généralement dans le cas si simple du coup de foudre. Mari est-elle manipulée par le vieillard, ou bien est-elle dans le cas dune dépendance affective ordinaire, due à un amour réellement éprouvé ? Autant de questions qu'Ogawa soumet au lecteur, sans imposer de réponse.
A coup sûr tourmentés, déroutants, choquants, les événements qui se succèdent dans ce petit hôtel minable, nen sont pas moins profondément lumineux. Car le grand talent de lauteure est de pouvoir traiter ces thèmes si difficilement évocables sans tomber dans le moralisme ni la pornographie. Car ici revient lesthétique zen, et toute cette boue remuée ne semble pas pouvoir altérer lordre de la Beauté. Au contraire, Y. Ogawa parvient à nous faire comprendre quelle y participe, comme Schopenhauer avait su deviner quil fallait voir, par-delà lhorreur et le mal, la mécanique du Système, et renoncer à vouloir la faire évoluer. Très beau, ce livre est aussi une invitation à une réflexion qui peut être philosophique comme politique.
Aurore Lesage ( Mis en ligne le 24/08/2004 ) Imprimer | | |
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