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Liaisons dangereuses à la plage
Doris Lessing   Les Grand-mères
J'ai lu 2008 /  4.80 € - 31.44 ffr. / 94 pages
ISBN : 978-2-290-00578-1
FORMAT : 11x18 cm

Première publication française en août 2005 (Flamarion).
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La romancière anglaise Doris Lessing, qui fut une grande militante, a certes fait son deuil des idéologies mais son inventivité n’est pas morte et se mêle au ton passionné qui est le sien pour nous offrir, à plus de 85 ans, la traduction française, aujourd'hui au format poche, de ce qui n’est rien moins que son trentième roman (la version originale avait été publiée en 2003).

Sur la côte des États-Unis, se trouvent attablés à une terrasse deux grands-mères (belles) et leurs fils respectifs (tellement beaux que la jeune serveuse en tombe amoureuse) qui ont eux-mêmes chacun une petite fille (toutes les deux belles également). Les deux femmes sont amies depuis l’enfance, et ont toujours vécu ensemble : leur complicité est telle, elles vivent dans une telle intimité que le mari de Roz préfère quitter sa femme. Celui de Lil étant mort dans un accident, les deux jeunes femmes élèvent ensemble deux enfants qui deviennent des adolescents puis de jeunes hommes. Chacune fait l’éducation sentimentale et sexuelle du fils de l’autre en un jeu trouble et ambigu.

Tout va par deux dans le roman : les deux mères, les deux fils, les deux brus, les deux petites-filles forment des couples d’individus à la fois ressemblants et complémentaires. Par conséquent, les liens peuvent se démultiplier : on ne sait trop qui est attiré par qui dans ce réseau complexe de relations fusionnelles. Les garçons élevés ensemble aiment se battre et s’affronter dans des corps à corps amicaux ; l’auteur appuie tellement sur le fait que les quatre personnages ne forment qu’une seule famille que les liaisons croisées entre mères et fils prennent la forme d’amour incestueux. On peut même se demander si les amours avec Tom et Ian ne sont finalement pas le suprême stade de la relation entre Roz et Lil, si ce n’est pas un amour entre les deux femmes par l’intermédiaire des deux jeunes gens qui nous est ici conté, présomption confirmée par la fréquence du thème de l’homosexualité. Les liaisons nébuleuses s’entrecroisent donc entre les protagonistes et les passions sont tellement exclusives qu’elles se referment sur elles-mêmes.

Dès lors le monde extérieur est quasi absent, il n’est plus représenté que par des personnages qui essayent de forcer l’entrée de ce clan sans jamais y parvenir, tel le voisin Saul qui a quelque chose de ridicule dont il est lui-même conscient. Finalement l’extériorité n’existe que comme contrainte interne, c'est-à-dire passant par le filtre des héroïnes elles-mêmes : le monde n’est qu’un regard pesant sur le double couple, critique à laquelle il faut se soumettre et sacrifier afin de pouvoir continuer à vivre selon sa volonté : «Nous devons nous conduire tous normalement. Rappelez-vous, tout doit être comme d’habitude, comme cela a toujours été». Les femmes font le sacrifice de leur image extérieure à la normalité mais elles lui restent fondamentalement imperméables.

Pourtant, il reste à la lecture un sentiment d’inachevé. Certes, le rythme est enlevé, le roman trop court pour que l’on s’y ennuie et la lecture est globalement agréable. Mais ce que l’on pourrait reprocher à cet ouvrage, c’est sa banalité. Celle de la construction du récit reposant sur un flash-back qui éclaire peu à peu une première scène choc et captivante. Celle d’une intrigue amoureuse censée être dérangeante mais qui reste assez plate sans même être vraisemblable. Celle de l’écriture où abondent les dialogues mais où le style fait souvent défaut. Celle des références (le lecteur aura certainement compris qu’un adolescent ressemble à un jeune dieu, qu’il est un être surnaturel, quand il l’aura lu à cinq reprises). Enfin, celle de la pensée, avec des réflexions «pénétrantes» : «Mais peut-être la folie est-elle un des grands rouages invisibles qui font tourner notre monde». Jusqu’à celle – mais là, Doris Lessing n’est pas responsable – de la traduction qui va d’anglicismes («boys will be boys» traduit par «les garçons seront toujours des garçons» au lieu de « il faut bien que jeunesse se passe») en maladresses en passant par des tournures pour le moins étranges («Vraiment, je veux dire, je te pose la question !») ou des calembours involontaires («une mer bon enfant»).

On sort donc un peu déçu de ce livre : Lessing est très loin de ses chefs-d’œuvre qu’ont été le Carnet d’or ou ses évocations de l’Afrique (Les Nouvelles africaines…). On ne retrouve pas ici la force provocante, l’ironie distanciée, la réflexion politique et sociale de ses premiers romans. Cet auteur, qui a pourtant été de tous les grands combats citoyens de ce siècle, semble faire des concessions à l’air du temps à travers une histoire d’amour qui ne parvient pas à être dérangeante ni originale, et que ne peut sauver une écriture parfois relâchée.


Rémi Mathis
( Mis en ligne le 07/09/2007 )
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