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Poches -> Littérature |
| Charles Dantzig Dictionnaire égoïste de la littérature française Le Livre de Poche 2009 / 10 € - 65.5 ffr. / 1154 pages ISBN : 978-2253124511 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Première publication en septembre 2005 (Grasset).
Vient de paraître, du même auteur :
Encyclopédie capricieuse du tout et du rien, Grasset, Janvier 2009, 790 p., 24,90 , ISBN : 978-2-246-74371-2 Imprimer
Action : cest le mot par lequel débute le Dictionnaire égoïste de la littérature française de Charles Dantzig. Cest annoncer que les Lettres ne seront pas le seul horizon de louvrage : lauteur ne dédaigne ni le cinéma ni la télévision ni la musique de groupes punk ou rock. Cest affirmer aussi la dimension actuelle («présente» et «agissante») de la Littérature, quitte à ce que ce soit sur le mode de léternel retour. Sil évoque les Sex Pistols cest à propos de Huysmans, et Blur/Oasis sont un trompe lil au même titre que Corneille/Racine : on les convoque seulement pour nous inciter à révoquer la pensée binaire. Le zapping nest pas daujourdhui : Dos Passos le pratiquait «vingt ans avant linvention de la télévision» ; dailleurs, cest la littérature qui la inventé dans les dictionnaires !
Cest à cela que joue Charles Dantzig : «et [le] voici, dans le fauteuil sur le dossier duquel [son] nom est inscrit», metteur en scène et spectateur prenant sur le vif écrivains et idées. Au gré de sa fantaisie défile tout ce beau monde avant de «rentrer à létable». D«Action» à «Zoo», «linfanterie des écrivains» devient «troupeau», mais la bataille perdure : les idées sont des lionnes prêtes à égorger les innocents, car le zapping est passionné. Aller «à sauts et à gambades», pour citer un auteur avec lequel Dantzig nest pas tendre, ce nest pas évoluer en apesanteur. Lallégresse de ton nest pas incompatible avec les condamnations lourdes (Aragon !) ou les hommages émus (Frédéric Berthet, Charles Cros, Max Jacob). Lauteur est un érudit plein de vie ; son existence palpite à chaque ligne de son intense relation avec les morts. Encore qu«il ny a pas de morts, il ny a pas de vivants, il y a des livres», lit-on à larticle «Morts, vivants». Et «Zoo», dernière entrée qui fait office de sortie, dy revenir rêveusement : «la seule vie»
Lauteur de ce dictionnaire «pas comme les autres» (nous sommes daccord avec la quatrième de couverture) nest pas un vieux bougon sur le retour exposant des attachements dun autre temps. Dabord, Charles Dantzig est seulement quadragénaire, même sil a déjà publié plusieurs romans et des recueils poétiques, même sil collectionne les prix (le présent dictionnaire a obtenu le prix Décembre) et même sil sexprime avec autorité. Daccord, il sinquiète parfois de savoir «où sont les bons livres» comme un partisan du culturellement correct ; il sessaie à des maximes pas toujours réussies («Nos amis appellent paradoxe celles de nos pensées qui leur déplaisent, par une espèce de gentillesse»), et il sembrouille dans le décompte des années : «On publie trop de livres. Voilà deux cent cinquante ans que je lentends dire.» Lire cest un peu perdre la tête, ou être immortel comme Duncan Mac Leod, du clan Mac Leod
Bien sûr que nous sommes de mauvaise foi ! Quelle fantaisie et quelle fraîcheur dans cet ouvrage dérudition parfois irrévérencieux ! Le court article intitulé «Mots des écrivains» nous laisse choir dun désinvolte : «je cherche dans mes notes et je reviens». Et pour vérifier une citation de Céline, on peut toujours attendre : («Et je narrive pas à retrouver où jai relevé cette phase.)» Pardonnons à qui senorgueillit par ailleurs de choisir lui-même ses citations plutôt que de les recopier sans vérifier. Artisanat dun écrivain pour lequel limportant est que les livres lemportent et limprègnent et nous embarquent tout autant que notre époque : La Chartreuse de Parme peut conduire à Roland Dumas et Céline à Edith Cresson !
L«action de dire» (létymologie du mot «dictionnaire» inspire discrètement le premier article) actualise un savoir, car «cest une honte de se taire, et de laisser parler les barbares», selon Diogène Laërce, mis en épigraphe. Mais larticle «Dictionnaires» nous entraîne plus loin en prétendant quil sagirait de religion : plutôt quavec une bible, «chaque bébé naît en France avec un dictionnaire», calcule lauteur. Or, «les dictionnaires sont une forme de zapping dont lutilité est éprouvée depuis Voltaire, qui fut un des premiers écrivains à en écrire» (quand on vous disait que ça navait rien de nouveau !). Chaque français pratique le zapping de nos jours, mais Dantzig assume, se passionne, développe, parce quil est contemporain et écrivain : son action de dire est une réflexion sur lécrire, son dictionnaire un art poétique. Lisez, entre beaucoup dautres, les articles «Cliché», «Creative writing», «Cocteau» («un écrivain de verbes» : y joindre larticle «Adjectif, adverbes ») ou «Morand» («En fiction, sa devise, excellente devise, pourrait être : «sans commentaire.»») : vous saurez comment lauteur entend lécriture.
Quant aux développements, jamais conventionnels, sur Proust ou Balzac, Stendhal ou Baudelaire, ce sont des leçons de lecture à placer sur votre table de chevet, à côté de la télécommande.
Alain Romestaing ( Mis en ligne le 21/01/2009 ) Imprimer
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