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Poches -> Littérature |
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Colette n’en finira donc pas de nous surprendre ! | | | Colette Lettres à sa fille - (1916-1953) Gallimard - Folio 2006 / 9.50 € - 62.23 ffr. / 643 pages ISBN : 2-07-032031-6 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm Imprimer
On peut ne pas aimer luvre, il est rare que lon ne soit pas conquis par la femme. Celle dont le destin ne sest pas tracé seul, mais en force, dans un monde où il nétait pas si simple dêtre à la fois une femme libre et respectée.
Colette se marie à vingt ans, divorce à trente-quatre. Il était libre, elle létait aussi. Elle a écrit et connu la gloire, elle a joué au théâtre, chanté et dansé. Le temps passe, elle a déjà quarante ans, et son ventre sarrondit. Henry de Jouvenel, journaliste, diplomate et politique, avec une vie aux multiples facettes, est le père de lenfant à naître. Colette et Henry se marient, ils élèvent tant bien que mal leur petite Colette de Jouvenel, et ils divorcent douze ans plus tard. Puis il y aura Maurice Goudeket, le dernier époux, linfâme, celui qui spoliera la fille.
A lire les lettres que Colette écrit à sa fille, on comprend que la petite, même devenue grande, na jamais pu se faire une place auprès des siens. Celle à laquelle on a donné pour prénom le patronyme et pseudonyme de sa mère, devient dès sa naissance le petit double, jamais assez bien, qui doit pourtant porter toutes les espérances de lavenir : «Jai tant dambition pour toi, Chérie !, lui écrit sa mère, Non pas une ambition de situation mais une ambition de caractère. Tu me comprends ? Je ne peux plus fleurir que par toi». Tout est dit, nest-ce pas ?...
La petite Jouvenel, cette deuxième Colette qui narrive pas à se faire un nom, et que lon surnomme Bel-Gazou («beau langage», en provençal) pour sexcuser, na en fait jamais loccasion de parler. On léloigne, on la place dans dautres bras, ceux de Miss Draper, la nurse comme il faut, qui a pour charge de léduquer. Puis elle est en pension. Lenfant est privée de mère, de famille, de foyer et ses lettres sont déchirantes de solitude et de manque damour. Celles de sa mère, qui ne signe jamais maman, sont dabord pragmatiques : écris des remerciements à qui tenvoie des cadeaux à la pension, mets de lordre dans ta chambre, fais bien ta valise
Puis, lenfant devenant grande et sémancipant, Colette quémande enfin à son tour quelque affection : «tu mécris si peu», «pas une lettre de toi !», «écris-moi»
La correspondance est alerte et spontanée, parfois émouvante de bon sens, mais sans plus. En revanche, elle donne un éclairage nouveau à la biographie de Colette, en nous livrant sa vie de mère, facette delle-même quelle assumait bien mal. Et lon remercie pour cela Anne de Jouvenel, qui a réalisé cet admirable travail de compilation des lettres de sa tante.
Car les recueils épistolaires restent irremplaçables, pour qui aime pénétrer la vie dautrui et toucher du regard lintimité des échanges. Il y a du voyeurisme là-dedans. Pourtant, que lon soit parfois troublé par les rapports abusifs que Mme de Sévigné entretient avec sa fille, ou offusqué par la distance de Colette à légard de la sienne, on en apprend sur la vie, sur la leur
et sur la nôtre. Et enfin, quimporte si les Lettres à sa fille dérangent, ce que lon retiendra toujours de Colette, cest dabord licône de la femme chat, au regard à la fois sensuel et dur, cest ensuite le regard que la vieille femme, de sa fenêtre du Palais royal, posait sur les enfants du jardin.
Rachel Lauthelier-Mourier ( Mis en ligne le 10/03/2006 ) Imprimer
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