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Poches -> Littérature |
| Yannick Haenel Cercle Gallimard - Folio 2009 / 8,40 € - 55.02 ffr. / 547 pages ISBN : 978-2-07-036635-4 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Première publication en août 2007 (Gallimard - L'Infini). Imprimer
Après Evoluer parmi les avalanches, Yannick Haenel reste dans le même registre en publiant Cercle. Ses thèmes de prédilection y sont une fois de plus obsédants : le lecteur nage (ou se noie) dans une narration dense et touffue sur la liberté, la poésie, lidentité, labsolu, Le mal, la quête de la femme, le sexe, le retour au moi rugissant, la sensation dexister, etc. Thèmes universels de la littérature, que Haenel se réapproprie ici et à fortes doses.
Le talent dun écrivain réside dans lutilisation de ces thèmes archi-rebattus : voir comment il les traite, comment il les applique à son époque, ou à ses personnages, de quelle manière il les réutilise, ce quil veut en dire, etc. Rien de tout cela ici : un magma inconsistant de métaphores vaseuses, de narcissisme assumé, mais surtout un manque doriginalité qui se plante dans un décor qui se voudrait neuf ; sinon pourquoi avoir la prétention décrire 500 pages sur lexaltation poétique ?
Lhistoire tient en deux mots ici car la narration privilégie avant tout le rendu des sensations, des délires intello-sexuels exprimés en permanence par son personnage, ou encore de sa vision du travail (archi simpliste) ainsi que du monde horrible dans lequel on vit. Un homme décide à lapproche de son RER de rester sur le quai et denvoyer balader son métier, sa vie de bureaucrate affairé pour découvrir ce quest la vraie vie de lhomme, seul, disponible et à fleur de peau. Sensuivent des rencontres avec les éléments naturels et artificiels de la ville, quelques femmes forcément belles et Dame Littérature, principale maîtresse de notre ami, lui faisant découvrir le sens même de lexistence sous toutes ses coutures à coup denjambées lyriques incessantes et de cadavres exquis peu convaincants. La perception de quelques phrases prises au vol le conduisant vers une route inconnue mais propice à la poésie.
On ne peut sempêcher de sourire à la lecture de ces descriptions dune grande naïveté existentielle. Haenel a la métaphore facile et même les touristes japonais photographiant Notre-Dame trouvent grâce à ses yeux puisquil les mêle au festoiement poétique. Mais il ny a pas que cela, se trouvant dans une solitude (quil fuit très vite
) et une disponibilité tragique (qui appelle la rencontre, féminine notamment), les gens deviennent dun coup sympathiques avec lui, laidant, lui parlant, le prenant sous leurs ailes lorsquil ne se sent pas bien ! Après une telle expérience, il ne peut que sénerver après notre monde formaté, avec ces moutons dociles qui acceptent leur sort de travailleurs acharnés, prisonniers du système, etc. En fait, le narrateur passe du métro-boulot-dodo au «métrosexuel»! Pas mieux.
Le mot «cliché» est facile à utiliser mais comment ne pas le considérer ici car tout y passe. Les oiseaux, les plantes, la Seine, les rues, les roseaux, les cafés, les sculptures, les librairies, les hôtels, bref, le climat parisien décrit comme une pastorale sans lenvers du décor (cest tout juste si Paris-plage nest pas cité comme élément poétique) est source dinspiration de notre ami qui, débarrassé de son ancienne vie dactif stressé, sourd et aveugle, peut enfin renaître. Et que faut-il à notre écrivain pour vivre pleinement des sensations de gamin de 10 ans ? On vous le demande. Et bien la rencontre dune femme pardi, (plusieurs dailleurs, avec en prime quelques distractions sexuelles décrites cette fois-ci sans trop de poésie !) mystérieuse, rencontrée comme personne ne les rencontre de nos jours, c'est-à-dire disponible demblée, aimée de suite, suivie, perdue, puis retrouvée à lautre bout de lEurope dans un circuit incandescent et sans fin.
En exemple, deux extraits du quotidien incroyable du narrateur qui parcourt Paris de fond en comble pris de subites et violentes exaltations à la vue du trivial et du commun : «Je me nourrissais de brochettes et de nougats que je grignotais en marchant, ou alors de bols de riz que javalais debout, dans des snacks japonais. Je rencontrais le soir, au Saint-Jean, place des Abbesses, ou à La Folie, rue de Belleville, des inconnues avec qui je marchais, la nuit, jusque chez elles». Choses extraordinaires quil navait pas le temps de faire lorsquil était pris par la paperasse au bureau, sans parler des filles que lon rencontre de façon toujours poétique (qua-t-on fait depuis sinon travestir le «hasard objectif» cher aux surréalistes dans ce type de roman ?).
Plus loin, il fait lexpérience incroyable du kebab : «Jai mangé un kebab au Carthage, juste avant la place Gambetta. Un peu de viande ma redonné des forces. Je contemplais le rouleau de mouton qui tournait lentement dans sa cuisson. La viande tombait par lamelles, comme une pelure de phylactères enluminée dépices. Dans la vitrine de la librairie, juste à côté, il y avait un livre pour enfants dont le titre était : La Guitare de diamants. Ce titre ma fait du bien, lui aussi. Jétais heureux de répéter ces mots».
Pour finir, Haenel prend en otages, et pour se donner une caution à son livre, quelques grands noms de la littérature qui laccompagnent durant son incroyable périple vide : Melville, Rimbaud, Homère (que connaît parfaitement le premier tenancier qui laccueille dans son café, bien sûr !), Shakespeare, Flaubert, etc. Car ce sont des phrases, pêchées au hasard de son inconscient, qui alimentent à la fois le récit et laventure de notre héros. Trop de symboles empruntés au surréalisme mais digérés façon sauce kébab (à noter aussi la présence de photos, de croquis ou de peintures ; inclusions picturales quaffectionnait le groupe). Sensuit une réflexion sur le Mal avec le passage obligé dans les camps de la mort et le tour est joué. Sen est trop, le lecteur abandonne.
Propos emphatiques, lyrisme de pacotille, pathos grand-guignolesque, métaphores fumeuses, snobisme littéraire, descriptions érotiques sans intérêt, voyage initiatique bobo-pathos: Paris-Berlin-Varsovie-Cracovie-Prague formant le cercle triptyque du livre (le livre est divisé en trois parties, Cercle I, II et III), bref, lexpérience allégorique et initiatique de Haenel connaît très vite ses limites. Reste un dernier passage qui pourrait résumer le livre en rendant un hommage mérité à une grande actrice qui prend ici la figure de lamour
«Jai pensé à la photo dAnita Dark. Jai décidé que ce serait mon porte-bonheur. Un talisman, aussi. Comme ces crucifix quon brandit face aux vampires. Et bien moi, dès que la mort vient me narguer, je sors la photo dAnita Dark, me disais-je. Si javais eu sur moi une photo dAnna Livia, bien sûr que je laurais sortie, mais je nen avais pas, alors Anita Dark, cest déjà ça, me disais-je. Jai cherché dans ma poche la photo de la reine du X. Je lai dépliée. Jai souri. A la fin, ce nest pas la mort qui gagne, ai-je dit cest Eros. Jai répété la phrase à voix haute, en brandissant la photo : A la fin, cest Eros qui gagne».
Jean-Laurent Glémin ( Mis en ligne le 23/03/2009 ) Imprimer
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