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Carnets de la prison mentale
Claire Fercak   Rideau de verre
J'ai lu 2010 /  4,80 € - 31.44 ffr. / 93 pages
ISBN : 978-2-290-01414-1
FORMAT : 11cmx18cm

Première publication en août 2007 (Verticales)
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Le taquin est un casse-tête qui consiste à reconstituer une image en permutant les cases mélangées d’un damier. Rideau de verre est une énigme dans ce genre. Claire Fercak y combine les pièces mentales d’une identité en kit : «J’ai cinq ans», «J’ai trente ans», «J’ai quatorze ans», «J’ai vingt ans». Tantôt «je», tantôt «elle», désarticulée puis jetée en vrac dans une cellule, «boîte ridicule». Dépression ? Schizophrénie ? En tout cas, «vilaine maladie». À la porte, par un regard, impuissant, le lecteur voit sa narratrice ajuster les bouts de sa vie – et il doit en manquer. Frustrant, car on croit bien avoir le modèle sous les yeux : une jeune femme au miroir, mais fracassé par le poing paternel. Comment s’y reconnaîtrait-elle ? Elle veut encore croire que papa l’aime. Traumatisée ? C’est vous qui le dites.

Le rideau du titre, c’est ce «cube de verre» qui l’isole et la sépare du réel et d’elle-même plus sûrement qu’une herse. Les mouches se cognent au ciel comme les hommes à leur enfance : jamais l’issue ne leur avait paru si proche que derrière cette paroi transparente. Le scénario d’un film avorté d’Eisenstein, intitulé La Maison de verre, s’achevait sur ces mots : «Impossible de continuer sans briser la maison.» «Elle» en a garde : plutôt étouffer que s’entailler, plutôt dedans que dehors. D’ailleurs, cette camisole de verre, doublée d’une camisole chimique, est garantie incassable.

Premier roman, Rideau de verre ? «Premier récit», assure l’éditeur. Cette sèche glossolalie, carnets de quelque souterrain, quelque maison des morts, mériterait quelque chose comme «premier dit» : le dit de la jeune fille au père. Ou bien «tragédie de chambre», comme les symphonies du même nom. Car, unité de non-temps : la narratrice de Rideau de verre n’a pas d’âge, elle s’est (on l’a) noyée dans l’enfance, elle s’y cherche mais demeure hors de portée, quoique intacte, scintillante et trouble. Unité d’inaction : la taupe de Kafka aurait débouché dans un hôpital et s’y morfondrait, car «les taupes ne creusent plus sous terre depuis qu’elles ont perdu l’odorat». Unité de non-lieu, enfin, puisqu’elle n’y est pour rien. «Le père est sa mémoire, il fait des pas dans mon cortex. J’ai vingt-huit ans. Il la poursuit encore. Il piétine le sol, je l’entends, il veut tuer le loir.» Taupe, loir : mammifères du dedans, habitants d’une vie terrée.

On pense aux Visages noyés de Janet Frame, mais Frame était sortie de son palais des glaces, tandis que Claire Fercak s’y barricade, «un refuge transparent et solide que personne ne saurait attaquer, une maison de verre qui lui permettait d’épier toute atteinte extérieure. Une maison fortifiée par isolants phoniques souvenirs-couvercles et laine de verre.» Dans ce Fort Alamo psychique, Sylvia Plath, Sarah Kane et Virginia Woolf tiennent un siège de mots contre la nuit extérieure. Hélas, c’est le désert des Tartares. Le suicide, un horizon chimérique.

Attentive, imperturbable, presque immobile, Claire Fercak écrit à la surface du gel. Par des trous, à l’hameçon, elle remonte des souvenirs vivants, bribes mentales, vers brisés, indices perdus d’une vie antérieure. Et, fait notable, sans une fois le soupçon du sexe, où il eût été si aisé d’en mettre ; mais d’autant plus sous-jacent qu’il est tenu sous clé. La violence, de même, tapie, contenue par l’écriture étroitement ajustée, a commencé de défoncer le récit à coups de hache, on la voit luire en italique par les premières fentes, de toutes ses dents : «Les souvenirs sont usants Lâche ce chien je dois m’en déloger il pue, je vais le tuer restent sur l’estomac toi aussi je devrais te tuer compressent mon rythme artériel car folle à six ans tu t’égorgeras à dix.»

Tour de force : à aucun moment le «je» écorché de Rideau de verre ne coïncide avec celui de l’auteur ; c’est une sœur jumelle qui respire en elle. C’est sans doute ce qui frappe le plus dans ce «récit» en forme de symptôme : l’exactitude sensible, la précision clinique d’une écriture sertie avec grand art et tout aussi habilement démontée, façon Rubik’s cube. Objet fascinant, parfois inquiétant, peut-être bien insoluble.


Olivier Philipponnat
( Mis en ligne le 17/09/2010 )
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