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Une tulipe au milieu du nombril
Pierric Bailly   Polichinelle
Gallimard - Folio 2010 /  5,60 € - 36.68 ffr. / 221 pages
ISBN : 978-2-07-040255-7
FORMAT : 11cmx18cm

Première publication en août 2008 (P.O.L.)
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Dans tous les villages du monde il y a des gamins l’été et l’on ne peut rien contre ça, à part bien sûr en descendre quelques-uns au pistolet, proprement. Le tout c’est d’avoir sous la main des piranhas prêts à tout nettoyer après, et hop, les problèmes s’évanouissent aussi sec. A Clairvaux aussi (pas très loin de Besac, capitale de Franche-Comté, au cas où vous ne connaîtriez pas), il y a une bonne demi-douzaine de ces morveux complètement détraqués qui cherchent à combler le vide que laissent les années lycée entre elles : les grandes vacances. Alors ça risque de se terminer dans une explosion de tulipes, autant vous prévenir tout de suite, même si ce n’est pas la vraie fin de Polichinelle.

Lionel, qui tient d’une seule main les commandes de la narration (parce qu’il a l’autre occupée par une roulée et une troisième dans celle de Laura), a vingt-et-un ans ; mais tout compte fait il serait sans doute plus intelligent de réfléchir un peu à ce que fait un grand dadais de son âge avec des adolescents, avant de se dire bêtement qu’il doit être plus mature que les autres écervelés. En même temps, on aurait du mal à leur reprocher de se comporter un peu bizarrement, vu les attaques de barbares qu’ils doivent repousser à tout instant, et puis les bourgeonnements incessants qui fleurissent sans crier gare sur leurs corps en pleine mutation. Ça non plus, on n’y peut rien, c’est l’amour. Heureusement qu’il y a Missy Elliot, les copains, les bisous un peu baveux mais c’est l’âge qui veut ça, et à boire, sans quoi ça sert à quoi de ne pas être paralysé, c’est bien ce que se demande Jules. Ce n’est pas au bord d’un lac ou dans un camping que vous allez tomber comme ça sur une vie de tout repos qui ne sert à personne, évidemment, mais entre ça et une existence de criminels traqués, il y a tout de même un pas.

Un jour, les autres se rendront compte à quel point ils sont des stars. Les jambes yo-yo, les cils qui tombent et les fesses à la place du ventre, ils ne peuvent pas comprendre, les autres. Ils vont même jusqu’à croire qu’il y a de la place dans le monde pour une histoire entre eux et le bonheur alors qu’ils n’ont jamais vécu dans l’estomac d’une baleine jaune ni écouté en boucle les ordonnances du docteur Dre.

Du côté de la bande à P’tit Lion, ça pousse dans tous les sens, ça cherche la catastrophe avec l’obstination de celui qui ne se laissera pas enterrer vivant sans avoir tout exploré avant, et on est pas loin de l’éclatement en tous petits morceaux caoutchouteux et colorés de Clairvaux. D’ailleurs, en fait, peut-être que tout a sauté sans qu’on s’en aperçoive, pris qu’on était dans le délire absolu et génial de Pierric Bailly.

Dans ce livre splendide qui emprunte à la fantaisie rayonnante de L’Ecume des jours (Boris Vian) aussi bien qu’à la violence esthétique de Spinoza encule Hegel (Jean-Bernard Pouy) on retrouve également ce quelque chose de fauve et désespérément jusqu’au-boutiste, drôle de sentiment fascinant qui ressemble à l’ennui en même temps qu'à l'exaltation largement chimique d'une jeunesse en mal de sens, jetée à corps perdu dans la fête, celle-là même que présente avec brio Luhrmann dans Romeo+Juliet. Sauf que Shakespeare est mort, aux côtés de Dieu et sous les coups du matérialisme dialectique peut-être, loin de Clairvaux en tout cas. Tout est là pour tailler une énorme brèche dans le cerveau le plus solide et provoquer des fuites de pensée onirique vers le ciel bleu des mois d’été, parce qu’on finirait par trouver le temps long sans ça, si l’on devait rester éternellement sans rien faire sur le banc de l’abribus.

La Kalach encore fumante et le clavier tiède, P. Bailly nous a fait perdre nos repères à nous aussi, parce que sans cela il faut bien avouer que ce ne serait pas très juste : agrémenter notre oisiveté du récit des péripéties de pauvres gosses paumés sans nous obliger à lâcher prise à notre tour, ce serait prendre fait et cause pour les adultes, et loin de nous l'envie de porter semblable accusation à l'encontre de l'auteur de Polichinelle. D'ailleurs, pour que les choses soient bien claires et que chacun puisse choisir son camp, il nous inflige aussi leur vocabulaire douteux et leur syntaxe hachée. Quoi donc, on n'allait quand même pas s’arrêter en si bon chemin de désintégration alors qu'on avait accepté le reste, ce ne serait pas logique, il ne fallait pas commencer sinon. Et voilà pourquoi l'on a aussi droit à leurs références artistiques américaines.

Ovni surprenant et brutalement puéril, ce premier roman d'un auteur de vingt-six ans ne peut qu'emporter l'adhésion enthousiaste du lecteur, que se soit par son rythme syncopé et soutenu de bout en bout, par son style volontairement venu d'ailleurs, de là où la littérature recule sous la menace d'un argot qui n'est pas dans le Hayard, ou par l'intrigue parfaitement fantasque et poétique. La langue a échappé au réel pour une fois et les mots ne disent pourtant rien d'autre que la vérité d'une jeunesse en cavale. Et puis au cas où cette présentation neutre et objective d'un chef-d'oeuvre disponible dans toutes les bonnes librairies ne suffirait pas, rappellons qu'il y a un Berretta calibre 22 qui se balade de main en main quelque part dans le trois-neuf.


Aurore Lesage
( Mis en ligne le 19/02/2010 )
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