|
Poches -> Essais & documents |
| |
Dans l’étau de l’histoire | | | Jean Rolin Chrétiens Gallimard - Folio 2006 / 5.90 € - 38.65 ffr. / 194 pages ISBN : 2-07-033726-X FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Première publication en octobre 2003 (POL).
L'auteur du compte rendu: Agrégé et docteur en histoire, Jean-Noël Grandhomme est l'auteur d'une thèse, "Le Général Berthelot et l'action de la France en Roumanie et en Russie méridionale, 1916-1918" (SHAT, 1999). Il est actuellement PRAG en histoire contemporaine à l'université "Marc Bloch" Strasbourg II. Imprimer
Cest à un voyage dans un monde en sursis, un monde discret et immergé dans la peur, que nous convie Jean Rolin dans cet émouvant petit ouvrage, mélange de récit de voyage et de réflexion de fond. Ces chrétiens dont nous parle lauteur vivent dans le berceau du christianisme, sur cette Terre Sainte déchirée depuis plus dun demi-siècle par linterminable conflit israélo-palestinien. Extraordinairement divers ou plutôt divisés -, ces chrétiens catholiques latins, melkites, syriaques, grecs orthodoxes, coptes, arméniens, protestants de diverses obédiences sont Arabes, Israéliens (juifs convertis parfois), mais aussi Français, Libanais, Américains, Italiens. Chrétiens qui descendent des premiers disciples du Christ, représentants des grandes Eglises dOrient installées en ces lieux depuis des siècles, congrégations religieuses internationales, organismes humanitaires cohabitent sur une terre chargée de foi et dhistoire.
Leur vie est dabord celle de tous les habitants de la région, ponctuée par les contrôles, le couvre-feu, les «bouclages» des territoires, les attentats, lIntifada et ses jets de pierre, les détonations qui font partie du quotidien des religieuses, des prêtres et des séminaristes comme de celui des pères et des mères de familles chrétiennes et de leurs enfants. Cette existence se déroule sur fond darrestations, d«incursions» militaires, de souffrance et de mort, sans oublier une effroyable crise économique et la désertion en masse des touristes, qui faisaient autrefois une partie intégrante du paysage de Jérusalem, de Bethléem ou de Jéricho. Ces noms tout droits sortis de lAncien et du Nouveau Testaments font la une de lactualité pour des raisons éminemment stratégiques.
Jean Rolin a séjourné en Israël-Palestine en décembre 2002 et janvier 2003. Il nous décrit dabord les scènes dont il fut le témoin, comme le siège de léglise de la Nativité par larmée israélienne. Cet épisode constitue pour lui un tournant, révélateur de la tragique position des chrétiens arabes : pour la première fois, Tsahal porte la guerre jusque dans les lieux saints, sans craindre lépreuve de force avec les conservateurs américains et encore moins avec le Saint-Siège. Mais laffaire dévoile aussi au grand jour le comportement de beaucoup de Palestiniens musulmans vis-à-vis de leurs compatriotes chrétiens : méfiance, mépris, «encouragements» pressants à la conversion à lIslam. Déchirés entre leur foi - différente de celle de la grande majorité des Arabes et leur indéniable patriotisme arabe (beaucoup de chrétiens furent à lorigine des mouvements démancipation anti-Européens dès lentre-deux-guerres), les chrétiens palestiniens sont les victimes à la fois des incessantes tracasseries de loccupant et de la pression constante des fondamentalistes musulmans.
Arabes pour les Israéliens, frères dans la foi des Occidentaux honnis pour le «Palestinien de la rue», les chrétiens de Terre Sainte ont-ils encore un avenir ? Cest la question que pose sans ambages cet essai destiné à ranimer des consciences occidentales toujours plus promptes à se mobiliser pour des causes «exotiques» (comme celle par ailleurs très honorable des Tibétains) que pour celles auxquelles les lient des siècles dhistoire commune. Cet abandon, sans doute fruit dune présentation aujourdhui très partiale et culpabilisante des phénomènes historiques complexes que sont les Croisades et la colonisation, accélère léradication de ces populations victimes dune lente et inexorable assimilation et dune émigration/hémorragie. Car la Terre Sainte nest pas seule en cause : de la Turquie (quévoque Jean Rolin dans sa conclusion) à lIran, en passant par lIrak, la Syrie, la Jordanie et dautres pays encore, la croix ne sera bientôt plus quun souvenir archéologique parmi dautres ; et il nest même plus certain que les bastions chrétiens de Liban et dEgypte ne subissent pas un jour le même sort.
Jean-Noël Grandhomme ( Mis en ligne le 14/08/2006 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Histoire de Beyrouth de Samir Kassir | | |
|
|
|
|