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Au (pré)nom du père
Dominique Fernandez   Ramon
Le Livre de Poche 2010 /  8.50 € - 55.68 ffr. / 761 pages
ISBN : 978-2-253-12964-6
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en janvier 2009 (Grasset)
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5 août 1944, Saint-Germain-des-près, à Paris. Ce sont des funérailles plus pathétiques que d’autres, dans une fin de guerre qui n’en manqua pas. On vient saluer Ramon Fernandez, figure des lettres des années vingt et trente, intellectuel de haut-vol, critique révéré, et écrivain lui-même, écouté de Proust, proche de Gide, Mauriac, Jacques Rivière, Bernanos, Martin du Gard, Malraux, témoin de mariage de Jean Prévost… et membre actif du Parti Populaire Français, tête pensante du sinistre Doriot dans le monde des arts, plume active de La Gerbe. L’épuisement physique et moral lui auront épargné l’infamie d’une condamnation certaine, après 1945. Son fils Dominique, 15 ans, mène le cortège funèbre. Soixante ans après, l’Académicien Dominique Fernandez raconte, et se raconte sans doute enfin à cœur ouvert, celui qu’il croit être le vrai Ramon, qu’un destin funeste a ravi à sa patrie, à sa famille de pensée et aux siens.

Tentative désespérée de réhabilitation d’un géniteur collabo par son humaniste de fils ? Il serait confortable de se tenir à cette lecture. Bien des éléments, dans le ton du livre, dans la méthode de travail de l’auteur (la documentation historique se borne presque à la correspondance abondante de son père et au journal de sa première femme, mère de Dominique) permettent au reste d’y souscrire.

L’admiration de l’auteur de Dans la main de l’Ange (prix Goncourt 1982) pour ce père critique littéraire, mais aussi écrivain lui-même, semble par exemple excessive. Le journaliste de Marianne et de la NRF (puis de L’Emancipation nationale, de La Gerbe et du Cri du Peuple), fut ainsi, à l’en croire, le critique le plus sûr de la première partie du siècle. Le biographe de Gide et de Molière commit les meilleures études sur ces classiques. Le romancier oublié du Pari et des Violents est présenté comme un avant-gardiste courageux, qui fit l’admiration de Mauriac, de Charles Du Bos et d’Arthaud, ceux qui ne lui adressèrent pas de louanges (Drieu La Rochelle) n’ayant que de mauvaises excuses personnelles. Le trait est poussé, mais, à l’inverse, qui niera que l’étiquette infamante apposée à l’homme ait nui à la carrière posthume de l’œuvre ? Les mots du fils incitent, in fine, à relire ceux du père.

L’étude politique de l’apostasie de Ramon Ferndandez est déjà moins sujette au prisme affectif. Ce qui ne la rend pas moins inopérante à saisir ce qu’il faut bien appeler le mystère Ramon Fernandez. Pourquoi et comment un penseur de gauche, anglophile convaincu, esthète accompli, a-t-il pu verser dans le fascisme, et le fascisme actif ? L’enquêteur est bien en peine de trouver un fil logique à ce parcours, certes pas unique, mais cas limite d’une certaine idiosyncrasie française, dont on n’a pas déroulé tout le génome. La question est tellement ardue que même le simple «quand ?» est presque indétectable, et la raison s’esquive. Quand Ramon bascule-t-il ? A l’été 1936, il prend encore publiquement parti pour les Républicains espagnols. Mais, en décembre de la même année, il signe, au sein de la droite française au grand complet, de Claudel à Brasillach et Abel Bonnard, en passant par Drieu et Léon Daudet, un texte en faveur de la rébellion franquiste, meilleure gardienne à ses yeux de l’âme hispanique. Un mois plus tôt, Gide avait publié son fameux Retour de l’URSS, courageuse et prophétique note critique du grand écrivain sur un régime rongé par la bureaucratie et le culte du moi. Poussé vers les bruns par phobie des rouges ? C’est un élément, pas suffisant toutefois pour justifier la persistance d’un choix qui, une fois la guerre déclarée, équivaut à un passage à l’ennemi.

On tremble, avec Dominique Fernandez, dans les chapitres sur les années d’occupation, lorsqu’il aborde la question juive. Ouf ! L’auteur du Voyage d’Italie s’est convaincu, écrits et témoignages à l’appui, que Ramon n’a pas gobé la terrible rhétorique de l’antisémitisme. Une étonnante lettre à Céline en témoigne, dans laquelle Ramon recommande à l’auteur de Bagatelles pour un massacre, sur le ton de l’amitié raisonneuse : «laisse en paix les bruns et les blonds»… On souffre encore à la lecture d’un portrait de Goebbels par Ramon, après le voyage bien connu à Weimar, en octobre 1941, d’une poignée de premiers de la classe à l’école de la collaboration. Ces lignes sont si indignes de bêtise et de flagornerie que Dominique Fernandez ne peut qu’y discerner du second degré. «Sauf à me laisser abuser par la piété filiale», glisse-t-il aussitôt.

L’approche psychologique enfin, devrait, plus qu’aucune autre, être entachée de subjectivité. C’est là, au contraire, que Dominique Fernandez emporte l’adhésion. Flanqué de deux figures de Méridionales, une parfaite génitrix toulonnaise à la tyrannie aggravée par un veuvage précoce, et une protestante auvergnate névrosée, Ramon n’est qu’un hidalgo de papier. Lucidité de la pensée, impotence de caractère. Lorsque la mère vieillit et que la femme s’éloigne, l’enfant gâté de cette «école du Sud», qui produit des rejetons mâles portant beau mais sujets à la mélancolie et à l’amertume, se laisse dériver. Il se raccrochera au premier esquif solide – le viril Jacques Doriot. Pour parfaire la démonstration, Dominique a préalablement démontré les tendances homosexuelles de son beau ténébreux de père, qui trouvent probablement un écho dans la mystique du chef et le décorum guerrier du PPF comme du parti nazi. Le fourvoiement politique par la faillite de la personne privée. Marguerite Duras – les Antelme, résistants avérés à partir de 1943, sont les voisins du dessous de Ramon et de sa deuxième femme, dans Paris occupé, et ce petit monde s’entend semble-t-il à merveille - a saisi instinctivement la chose : «Collaborateurs, les Fernandez. Et moi, deux ans après la guerre, membre du PCF. L’équivalence est absolue, définitive. C’est la même chose, la même pitié, le même appel au secours, la même débilité du jugement, la même superstition disons, qui consiste à croire à la solution politique du problème personnel» (L’Amant).

Dominique Fernandez, 77 ans, livre donc d’abord un cri d’amour. Pour autant, cette peinture d’un homme et d’un itinéraire, qui est encore une plongée dans les entrailles de la bourgeoisie intellectuelle de l’avant-guerre, s’avère aussi nécessaire pour le lecteur que pour son auteur.


Emmanuel Marin
( Mis en ligne le 08/06/2010 )
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