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Mystérieuse Russie
Hélène Carrère d'Encausse   La Russie entre deux mondes
Hachette - Pluriel 2011 /  9.50 € - 62.23 ffr. / 323 pages
ISBN : 978-2-8185-0116-0
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en mai 2010 (Fayard)

L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin.

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«Nous vivons sourds à la terre sous nos pieds/ A dix pas personne ne discerne nos paroles.
On entend seulement le montagnard du Kremlin,/ Le bourreau et lÂ’assassin de moujiks.
Ses doigts sont gras comme des vers,/ Des mots de plomb tombent de ses lèvres.
Sa moustache de cafard nargue,/ Et la peau de ses bottes luit.
Autour, une cohue de chefs aux cous de poulet,/ Les sous-hommes zélés dont il joue.
Ils hennissent, miaulent, gémissent,/ Lui seul tempête et désigne.
Comme des fers à cheval, il forge ses décrets,/ Qu’il jette à la tête, à l’oeil, à l’aine.
Chaque mise à mort est une fête,/ Et vaste est l’appétit de l’Ossète
»
(Robert Littell, L'Hirondelle avant l'orage).

C'est en ces termes qu'Ossip Mandelstam décrivit jadis la Russie dont il était contemporain, c'est-à-dire la Russie ployant sous le joug du communisme stalinien des années 1930. Assassins, ces quelques vers suscitèrent l'ire de Staline et envoyèrent finalement le poète à la mort. Ambitionnant de créer un monde nouveau, l'URSS n'admettait guère la contradiction. Dans quelle mesure l'effondrement et la dislocation de cette dernière allaient-ils contribuer à régénérer les lambeaux de l'empire déchu ? Tel est le thème du dernier essai d'Hélène Carrère d'Encausse, aujourd'hui en format poche. Dans La Russie entre deux mondes, l'historienne se penche en effet sur la transition à marche forcée du communisme vers la démocratie libérale, entreprise dès 1991 par Boris Eltsine, ainsi que sur la mystérieuse Russie qui en a émergé.

«Tout menteur est un messie. Depuis des millénaires, la Russie cherche la Russie». Ces vers de Galitch témoignent parfaitement de «la longue marche des Russes pour rencontrer leur destin, et de leur volonté passionnée d'en finir avec une histoire de malheur et d'exception». Dans son essai, Hélène Carrère d'Encausse s'interroge tout d'abord sur l'identité d'une Russie en quête d'elle-même, éternellement écartelée entre l'Europe et l'Asie, et qui de nos jours se veut non pas le «successeur» de l'URSS, mais bel et bien sa «continuatrice».

Faisant écho à la sentence de Samuel Huntington selon laquelle la Russie serait à l'instar du Mexique et de la Turquie un «pays déchiré», le débat entre occidentalistes et slavophiles a ressurgi suite à la disparition de l'empire soviétique. Si les uns comme les autres s'accordent sur le constat du retard économique, social et politique de la Russie, les premiers s'inscrivent en faux contre toute spécificité russe pour se considérer comme appartenant à l'Europe et, de ce fait, à l'Occident. Ils entendent retrouver l'héritage européen de Pierre le Grand et avec lui son modèle de développement, afin d'extirper le pays des affres du «malheur russe», c'est-à-dire de «l'incapacité des Russes à aller jusqu'au bout de l'effort modernisateur pour retomber, comme toujours, dans une stagnation mortifère». Pour les seconds, il s'agit de renouer avec les racines slaves de la Russie et de ne plus chercher à imiter l'Europe. Dans cette veine, un célèbre poème de Pouchkine recommande d'ailleurs aux Européens davantage de retenue vis-à-vis de la Russie et appelle ouvertement «les ruisseaux slaves» à se fondre «dans la mer russe» (A ceux qui calomnient la Russie, 1831).

L'Académicienne poursuit son propos en se penchant sur la place de la Russie, dorénavant «puissance pauvre», dans le concert des nations et sur sa volonté de retrouver son rang après les humiliantes années 1990. «Les ressorts de la politique étrangère russe d'aujourd'hui, explique le chercheur Dimitri Trenin, sont complètement différents de ceux du récent passé soviétique et du plus lointain passé tsariste. Alors que l'Empire était dominé par la géopolitique eurasiatique, que l'Union soviétique promouvait un projet global, tant idéologique que politique, soutenu par le pouvoir militaire, l'affaire de la Russie est la Russie elle-même ; dit de façon différente, le business de la Russie, c'est le business ! En contraste radical avec le passé soviétique, la Russie post-impériale figure parmi les pays les moins idéologiques du monde», puisque seul l'«intérêt» dicte la conduite des affaires du pays.

Au fil des pages, Hélène Carrère d'Encausse revient sur l'orientation initialement pro-occidentale de Boris Eltsine et Vladimir Poutine, puis à partir de 2004 sur le «choix asiatique» des Russes, que motivent à la fois leur positionnement géographique eurasiatique et leur «déception face à une Europe qui ne comprend pas toujours la Russie, la sous-estime, la marginalise parce qu'elle n'est pas conforme à tous ses critères». «A mi-chemin entre un État-nation explosif et instable et un empire continental, mélange de puissance et de fragilité», la Russie qui a succédé à l'URSS vise la reconnaissance de son statut de puissance principalement par les États-Unis d'Amérique, «l'Autre» qu'elle tient pour son égal. Pour ce faire, «la diplomatie de l'énergie» est la grande innovation introduite par Vladimir Poutine pour contrer les révolutions de couleur, considérées comme autant d'inacceptables ingérences occidentales dans son «étranger proche», et se ménager des zones d'influence. Le rapport à tout le moins ambivalent de la Russie à la modernité fait également l'objet d'une analyse de la part de l'historienne.

L'ouvrage est au final éclairant et relativement complet, même s'il est possible de regretter qu'Hélène Carrère d'Encausse ne traite pas de manière suffisamment détaillée l'état de la démocratie russe. L'historienne ne s'interroge nullement sur la série d'attentats, qui a bel et bien conditionné l'accession de Vladimir Poutine à la magistrature suprême. L'Académicienne paraît, en outre, négliger le rétablissement de la «verticale du pouvoir», la corruption de l'appareil d'État ainsi que les récurrents assassinats d'opposants politiques et de journalistes.


Alexis Fourmont
( Mis en ligne le 05/04/2011 )
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