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Dossier Jean MOULIN
La Résistance sacrifiée.
Jean Moulin
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Colonel Passy
Nous étions faits pour être libres
Jean Moulin
L'Affaire Jean Moulin - Trahison ou complot ?

Un homme de mémoire
Jean-Pierre Azéma   Jean Moulin - le rebelle, le politique, le résistant
Perrin - Tempus 2006 /  10.45 € - 68.45 ffr. / 596 pages
ISBN : 2262025177
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en mars 2003 (Perrin).
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Faute de sources, l’historien se tait. A l’aide des sources, il rétablit ou reconstruit une réalité oubliée ou trahie. C’est là son grand mérite. C’est celui de Jean-Pierre Azéma que de le rappeler dans la passionnante biographie qu’il consacre à Jean Moulin, débusquant toute «distorsion majeure entre la mémoire post mortem et l’histoire». Avec toute la légitimité portant ce grand spécialiste des «années noires» et de la résistance, la nouvelle biographie consacrée au héros résistant apparaît comme une synthèse claire, complète et mise à jour sur l’homme et son époque.

Icône gaullienne, héros national, Jean Moulin est de ces personnages dont la mémoire et la postérité sont disputées amèrement et de longue date. Les nombreuses affaires et polémiques entourant l'homme – ses accointances soviétiques dénoncées par Henri Frenay et plus récemment par Thierry Wolton (Le Grand Recrutement, Grasset, 1993), son homosexualité, son autoritarisme et, surtout, le mystère de son arrestation à Caluire en mai 43, dessinent les traits d’un héros romanesque, cinématographique, mythologique en somme, chez qui le fantasme finirait par l’emporter sur les faits et la vérité. N’était le travail prudent et conséquent des historiens. Jean-Pierre Azéma est de ceux-là et c’est un plaisir que de lire un récit où les faits sont rétablis sur la base de sources citées et discutées, où les débats historiographiques sont présentés dans leurs nuances, où l’historien explique de manière didactique à son lecteur quels sont les écueils et les limites de son inspection, où se sent enfin l’amour de l’archive.

Jean Moulin est un enfant de la province, d’une famille de la petite bourgeoisie républicaine biterroise. Après des études de droit à Montpellier, il entame une carrière dans l’administration préfectorale. Ce «bon jeune homme» ne «détonne» pas; son parcours, classique et conventionnel, ne laisse pas présager de ses engagements futurs. Les années trente constituent un tournant dans sa vie, marqué par l’entrée en politique dans les rangs du radicalisme derrière Pierre Cot. Homme de l’aile gauche radicale, il accueille favorablement le programme de rassemblement populaire par antifascisme. Sous le Front populaire, chef de cabinet de Cot au ministère de l’Air, il est secrètement chargé de l’aide du gouvernement aux Républicains espagnols. A 37 ans, il est nommé préfet d’Aveyron, l’homme le plus jeune de France à cette fonction.

En poste à Chartres au moment de la débâcle, il se rend prisonnier. Plutôt que d’être instrumentalisé par l’occupant, il se laisse malmener et tente de se suicider. Il reste ensuite à son poste et fait preuve d’un grand professionnalisme. Il préfère attendre d’être révoqué, ce qui advient en novembre 1940.

C’est un résistant de la première heure et, faut-il le rappeler, un des rares hauts fonctionnaires à entrer en Résistance. Il est aussi l’un des rares résistants à construire son activité autour d’une double identité : préfet mis en retraite à Saint-Andiol où il s’occupe de ses terres, il est sinon Joseph Mercier, professeur. Il est aussi Max, Rex, Regis… Il arrive à Londres à l’automne 1941. La rencontre avec De Gaulle fossilise l’image de Moulin pour la postérité, celle du représentant du chef de la France Libre, trait d’union difficile entre les mouvements de la zone sud (Libération Sud, Combat et Francs Tireurs) qu’il doit coordonner (c’est la mission Rex), celle du fondateur du CNR, Conseil National de la Résistance, le 25 mai 1943. Notons que Jean-Pierre Azéma ne fait pas de Moulin le gaullien invétéré que l’on croirait : son gaullisme, incontestable, voire zélé, apparaît comme un gaullisme de raison, chez un haut fonctionnaire jacobin voyant dans le général, passée la méfiance vis-à-vis d’un nationaliste barrésien à l’antiparlementarisme suspect, un grand chef d’Etat. Les deux hommes s’estiment et se font confiance.

Plus que le récit d’une vie, la biographie de Jean-Pierre Azéma est l’évocation scrupuleuse d’un temps. L’historien rappelle le choc, parfois oublié, des événements. Le traumatisme de la débâcle, les tâtonnements de la Résistance, ce «bluff patriotique» qui, en ses débuts, ne réunissait qu’une poignée désorganisée d’hommes – Daniel Cordier parle en la matière de «bricolage héroïque». Parfait connaisseur des milieux résistants, l'historien en dresse un tableau clair et simple, décrivant simplement un organigramme pourtant enchevêtré, les organisations, leur mise en place, les méthodes développées etc. Conscient que Londres, Moulin et d’autres grands noms (Passy, Frenay, D’Astier de la Vigerie, les Aubrac, etc.) appartiennent à cette Haute Société Résistante (HSR) sur laquelle les historiens et le public ont tendance à se focaliser, il rappelle que la Résistance fut portée par de petites mains héroïques et méconnues, ceux que Pierre Brossolette appela les «soutiers de la gloire». Il cite, autour de Moulin à Lyon, les noms d’Hugues Limonti, Laure Diebold, Suzette Olivier, etc.

Surtout, contre l’image lisse d’une Résistance unifiée et héroïque – «il n’y a pas de sanctuaire en Histoire», écrit-il -, il rappelle la forte hiérarchisation de ce monde particulier et les violentes querelles intestines qui l'ébranlèrent : la rivalité avec Pierre Brossolette au printemps 1943 est rappelée, de même que les tensions fortes avec les mouvements de la zone sud, autour de la direction de l’armée secrète par Delestraint, et de «l’affaire suisse» (les tentatives, de la part de Combat, de mettre en place une délégation de la Résistance intérieure auprès des autorités américaines à Berne, contre Londres, De Gaulle et Moulin). Comme l’écrit l’auteur, «la Résistance, du moins la Haute Société Résistante, a été tout sauf le long fleuve tranquille qu’a présenté une historiographie convenue qui n’admettait l’existence de différends qu’entre communistes et résistance non communiste.». Des enjeux de pouvoir réels l’agitaient. Ces rivalités ont joué dans l’arrestation de Moulin le 21 juin 1943.

Jean-Pierre Azéma avait le projet de cette biographie depuis longtemps. Après le récit riche et précis du témoin et acteur Daniel Cordier (La République des catacombes, Gallimard, 1999), l’évocation de la vie privée de l’homme, ainsi plus humanisé, par le journaliste Pierre Péan (Vies et morts de Jean Moulin, Fayard, 1998), Jean-Pierre Azéma, fort des avancées récentes de l’historiographie dans ces domaines, propose, dans un souci estimable de vulgarisation, le portrait de l’homme politique et du résistant par l’historien.


Thomas Roman
( Mis en ligne le 11/09/2006 )
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