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Puissance et Déclin de la république romaine
Jean-Michel David   la République romaine - De la deuxième guerre punique à la bataille d’Actium, 218-231
Seuil - Points histoire 2000 /  6.11 € - 40.02 ffr. / 304 pages
ISBN : 2-02-023959-0

Nouvelle Histoire de l’Antiquité
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"Ex innocentia nascitur dignitas, ex dignitate honor, ex honore imperium, ex imperio libertas" (Scipion Emilien). Le septième tome de la Nouvelle Histoire de l’Antiquité s’ouvre par cette belle citation qui résume, presque entièrement, le système de valeurs de l’aristocratie romaine. Seul "celui qui n’a pas commis de faute", l’innocent, se voit reconnaître une supériorité morale et sociale qui lui donne accès à la gestion légitime des affaires communes, au commandement et, pour finir, à la seule grandeur véritable.

Or, à l’issue d’une brillante démonstration, Jean-Michel David dévoile ce qu’il est advenu, un siècle plus tard, des idéaux d’Emilien : faisant face à un César, monarque triomphant, "ceux-là mêmes qui pensaient devoir tirer leur statut de leurs qualités propres avaient nécessairement le sentiment d’avoir perdu avec la liberté les valeurs mêmes qui fondaient leur identité sociale". Comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage (Crise d’une aristocratie), les deux derniers siècles de la République romaine sont inséparables du destin de son élite. L’intérêt du livre consiste à mettre au jour une mutation aussi lente qu’inéluctable, des tendances de fond s'éclairant les unes les autres : la construction de la grandeur de Rome est à l’origine même du déclin de son aristocratie et de l’instauration de la monarchie.

Le tableau initial est celui de la cité romaine à la fin du IIIè siècle. Rome est déjà la plus grande puissance de la Méditerranée occidentale, riche de ses hommes et de son territoire, mais surtout de la cohésion de sa communauté civique, autour de ses chefs, au sein d’un système politique "qui structurait l’identité collective et qui en fin de compte déterminait les représentations et les conduites". Censitaire, le régime est bâti pour et par une élite sénatoriale, en grande partie héréditaire, détenant la réalité du pouvoir. Rome est alors une république d’aristocrates définis par la possession d’un triple capital, économique, symbolique et social : le sénateur est fortuné, charismatique au sens fort du terme, à la tête d’un réseau de dépendants (ses ). Le Peuple, néanmoins, contribuait au fonctionnement de la cité ; les tribuns de la Plèbe étaient censés contrôler les autres magistrats et prémunir chaque citoyen contre l’arbitraire.

En ces années de paix retrouvée, cette Rome n’est plus une cité comme les autres : elle régentait déjà un empire (l’Italie péninsulaire, la Corse, la Sardaigne, la Sicile), peuplé d’Alliés que les Grands intégraient à leur clientèle afin d’accroître leur puissance. La victoire sur Hannibal (202 av. J.-C.) au terme d’une deuxième guerre punique longue et dévastatrice, a ouvert la voie à une domination sur de plus vastes espaces, en Espagne notamment. Bien plus, l’euphorie de la victoire (proportionnelle au traumatisme d’avoir frôlé le désastre) a attisé la soif romaine de puissance, en même temps qu’elle a consolidé chez les aristocrates la conscience d’une valeur, d’une compétence et d’une légitimité estimées à l’aune des épreuves guerrières. Les conditions de l’impérialisme étaient d’ores et déjà en place.

Rome se lance alors à la conquête du monde méditerranéen tout entier : "ce fut un événement de très grande envergure, un de ceux qui comptent dans l’Histoire de l’Occident". Jean-Michel David retrace tout d’abord les étapes du processus, en Orient (depuis la deuxième guerre de Macédoine jusqu’à la soumission complète de l’Asie Mineure), en Espagne et en Afrique.

Il décrit les modalités de la conquête, insiste sur les gains de prestige et de richesse dont l’aristocratie romaine, au premier chef, est la bénéficiaire. Mais l’essentiel est ailleurs, dans les conséquences tout à la fois culturelles, politiques et idéologiques de la conquête Revanche du vaincu oriental, l’hellénisme provoque l’afflux vers Rome des valeurs, non seulement culturelles mais aussi politiques, du monde grec. Pour les généraux auréolés de gloire, les traits culturels hellénistiques servent ainsi la célébration du succès et de la supériorité : "l’ostentation […] conduisait donc les vainqueurs des rois hellénistiques à se parer de certains de leurs attributs pour signifier leur propre grandeur".

L’idée-force de l’ouvrage se dessine : dans le cadre d’une compétition exacerbée avec ses pairs, l’aristocrate romain est habité par une tentation monarchique qui porte en elle la disparition même du système aristocratique. C’est donc une résistance visionnaire qu’incarne Caton le censeur, méfiant à l’égard de ces conquérants enrichis, pourfendeur du luxe ostentatoire et de tout ce qui pouvait troubler l’équilibre aristocratique et l’ordre civique traditionnels. La mutation des valeurs culturelles n’était pas la seule tension qui mettait à mal ce vieil ordre civique.

Les deux derniers siècles de la République voient l’intégration économique, sociale et culturelle des territoires conquis, au sein d’un ensemble unifié dont Rome est le centre rayonnant. L’impact sur l’économie et la société italienne est particulièrement fort. Alors que ses élites s’enrichissent grâce à un développement soutenu par le recours accru à l’esclavage, l’Italie se romanise tout en connaissant des tensions nouvelles (l’exode rural vers la capitale notamment). L’émigration des hommes d’affaires italiens étend à l’espace provincial ces premiers pas d’une romanisation culturelle, linguistique et civique.

Le deuxième siècle voit naître un monde nouveau qui contraint le vieux système romain à s’adapter : des réformateurs innovants sont les fers de lance d’un changement qui instaure un mode différent de fonctionnement politique. Des tribuns de la Plèbe se mettent à user de comportements fondés sur un état d’esprit popularis, qu’il faut bien dire "démocratique" malgré les risques d’interprétation anachronique que le qualificatif recèle. Pour les Gracques, Tiberius et Caius Sempronii Gracchi, la voie était toute tracée : les deux frères, imprégnés des principes de la philosophie hellénique, sont l’incarnation de ce vent de réforme et d’une rupture d’équilibre qui, de l’avis des Anciens eux-mêmes, fit basculer la République dans la crise.

Elu en 133 au tribunat, Tiberius entreprend de mettre en place une législation agraire en faveur de la paysannerie. L’innovation vient beaucoup moins du contenu que de la méthode: le tribun brise l’opposition de Marcus Octavius, son collègue, en le faisant déposer par l’assemblée populaire ; le tout s’achève dans l’émeute et par l’assassinat de Tiberius, accusé d’aspirer à la tyrannie. Caius, tribun en 123, reprend le flambeau de son aîné en faisant voter des dispositions favorables au Peuple, en tant qu’acteur politique, et aux milieux sociaux populaires. Le cadet connaît la même fin tragique que son frère. Divergences au sein du gouvernement aristocratique, violence politique, recours à l’arbitrage du Peuple dans la lutte entre factions, tentation supposée du pouvoir personnel : voilà autant de traits structurant la crise républicaine, présents dès l’épisode gracquien.

Ni l’organisation censitaire de la cité, ni le pouvoir des magistrats n’avaient été contestés par des hommes issus de l’aristocratie et n’aspirant pas à rompre avec elle; mais Rome s’installait dans la stasis : cette rupture de l’unité civique en partis opposés, en l’occurrence les populares (partisans des idées gracquiennes) et les optimates (qui s’affichaient comme l’expression politique traditionnelle de l’élite).

Avec les périls extérieurs et la revendication de la citoyenneté par les Italiens comme toile de fond, cette opposition aboutit à une guerre civile qui consacre une nouvelle figure politique : celle du grand imperator. Marius est le premier de ces hommes : vainqueur des barbares, triomphateur protégé des dieux, il devient plus qu’un primus inter pares, puisant le reste de sa force politique dans des alliances conclues avec les tribuns populares. La Rome de Marius, aux prises avec des phénomènes chroniques de violence politique, doit alors faire face à deux nouveaux conflits. Les Alliés (socii) italiens s’insurgent afin que la citoyenneté romaine leur soit concédée : en 89-88, ils sortent vaincus, sur le plan militaire, d’une guerre dite "sociale" mais obtiennent gain de cause sur le fond.

Au même moment, le roi Mithridate fait vaciller toute la domination romaine en Orient. Marius y voit une possible source de gloire, mais Sylla, un de ses anciens subordonnés rallié aux optimates, raisonne de la même façon et entend lui ravir l’honneur du commandement. Sylla marche sur Rome, en fait chasser les partisans de Marius, puis se tourne vers l’Orient, finissant par y obtenir le statu quo ante. De retour dès 87, les marianistes confisquent le pouvoir jusqu’en 82. Cette année-là, Sylla reprend la Ville, se faisant l’auteur d’un massacre en règle, officialisé par la procédure de la proscription : il fait afficher (proscribere) le nom de ses adversaires et promet une récompense à ceux qui les tueraient. Dans le dessein de restaurer l’Etat dans ses formes les plus traditionnelles, Sylla se fait décerner la dictature, fonction légale réservée aux périodes les plus graves certes, mais surtout magistrature exceptionnelle caractérisée par l’exercice personnel du pouvoir.

Le piège monarchique s’est refermé sur le défenseur du système aristocratique, sincère au point d’abandonner la scène publique de son plein gré, peu avant sa mort : pour arriver à ses fins, Sylla a dû endosser l’habit de l’imperator élu des dieux, se résoudre à suivre un modèle qui portait en lui la négation même de ses idéaux.

Pompée ne s’inscrit pas dans un autre modèle : matant les derniers marianistes, disputant à Crassus le prestige d’avoir écrasé la révolte servile de Spartacus, il triomphe ensuite en Orient des pirates et de Mithridate. Le profil de Pompée est, en fait, le révélateur d’une évolution sociologique que Jean-Michel David résume par cette métaphore géométrique : "la pyramide sénatoriale s’élargissait à la base, mais s’élevait et se rétrécissait vers le sommet". Sylla avait augmenté le nombre des sénateurs, attisant la concurrence entre ceux qui souhaitaient acquérir la gloire politique ; celle-ci devenait d’autant plus difficile à atteindre que le contrôle des électeurs (beaucoup plus nombreux depuis l’intégration des Italiens) ne pouvait plus être le fait que d’un Pompée et d’une très mince minorité de sénateurs.

La conjuration de Catilina (en 63) n’est autre que le complot d’hommes désabusés face à un tel blocage. C’est pour se défaire de l’opposition des partisans du système aristocratique et des jalousies qu’il suscitait, que Pompée choisit, peu après, de s’allier à deux hommes : avec César, patricien popularis avide d’honneurs triomphaux, et Crassus, l’homme le plus riche de son temps, le premier triumvirat était formé. Le rapprochement au sommet, néanmoins, ne suffit pas à instaurer le calme : alors que César guerroie en Gaule, la lutte entre les factions atteint son paroxysme sous l’impulsion de l’agitateur démocratique P. Clodius Pulcher. L’opposition entre populares et optimates passe ensuite au second plan, une fois que la mort de Crassus (vaincu face aux Parthes qui dominaient alors la Mésopotamie) eut laissé Pompée et César face à face.

La guerre civile entre les partisans de Pompée et ceux de César met fin à la République romaine, un régime dominé par une aristocratie dont les contradictions interdisaient le maintien et la reproduction : "la crise des institutions était d’abord celle de ses pratiques sociales et des représentations". Rome fut le théâtre où un système aristocratique égalitaire et horizontal s’est transformé en un système hiérarchisé et ramifié, organisant au total la domestication de la plupart de ses composantes humaines: les sénateurs romains, bien que plus riches et rayonnants qu’au IIIè siècle, étaient prêts à devenir les sujets d’un monarque omnipotent. C’est la stature que César finit par atteindre après sa victoire sur les troupes pompéiennes à Pharsale (en 48), après le suicide (ô combien symbolique !) de Caton d’Utique, défenseur ultime du système ancien. Les mains libres, César y concentre peu à peu tous les pouvoirs : celui du consul, du dictateur et du tribunat de la Plèbe. Les honneurs et les marques symboliques de supériorité qu’on lui accordait le plaçait à "la frontière de la divinité". La démarche était choquante au point que vingt-quatre conjurés se firent tyrannicides le 15 mars 44 ; mais leur acte se révéla des plus vains.

Les conjurés pensaient que la mort de César laisserait place à la restauration de l’antique liberté aristocratique ; les césariens ne l’entendaient pas ainsi. Marc Antoine et Lépide (les plus proches collaborateurs du dictateur) et Caius Octavius (le futur Auguste légitimé par son rang de fils adoptif du divin César) étaient à la tête de ce groupe : ils décidèrent en 43 de former un second triumvirat dont la vocation était de refonder la cité. Après l’élimination des assassins et des opposants proscrits, ils entreprirent cependant de s’entredéchirer : les guerres devaient se succéder en Italie et dans les provinces, jusqu’à l’avènement (en 31) du principat augustéen, régime assurant le pouvoir d’un seul homme sur un empire universel.

de Jean-Michel David est un grand livre d’histoire : à la clarté synthétique propre aux bons manuels répond la profondeur d’un essai riche de ses problématiques solidement posées ; les portraits de grands hommes, les réflexions structurelles, le récit événementiel s’équilibrent et s’interpénètrent dans une harmonie qui nourrit notre connaissance de chacun de ces éléments. La fin du XXè siècle, dit-on, vit la renaissance d’une histoire politique un temps malmenée ; à l’orée du XXIè siècle, Jean-Michel David nous livre une fresque politique magistrale qui fait la part belle à l’histoire sociale, à celle de la culture et des représentations. On formulera humblement une seule critique : soucieux de montrer la force des mécanismes menant à l’avènement du pouvoir personnel, l’auteur adopte parfois un style téléologique qui gênera peut-être les plus sourcilleux ("les mêmes causes […] conduisaient toujours aux mêmes conséquences", "l’impossibilité pour Rome d’échapper à son destin"). Il s’agit là seulement d’un petit défaut formel dans une magistrale synthèse.


Nicolas Tran
( Mis en ligne le 15/08/2000 )
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