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La recomposition des élites allemandes sous le nazisme
Fabrice d' Almeida   La Vie mondaine sous le nazisme
Perrin - Tempus 2008 /  10,50 € - 68.78 ffr. / 544 pages
ISBN : 978-2-262-02828-2
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en janvier 2006 (Perrin)

L’auteur du compte rendu : Eric Alary, Docteur es Lettres en Histoire de l’IEP de Paris, Agrégé d’histoire, est Professeur en Lettres Supérieures et en Première Supérieure au lycée Camille Guérin (Poitiers) ; il est également chercheur associé au Centre d’Histoire de Sciences Po et au CRHISCO/ Université Rennes II.

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Fabrice D’Almeida s’est penché sur un sujet totalement neuf et longtemps tabou, à savoir la vie mondaine des nazis. Il ne s’agit pas d’un ouvrage descriptif sur les soirées où les nazis rencontraient la haute société allemande et les diplomates du monde entier. C’est bien plus que cela. En effet, des biographies nombreuses ont été livrées sur les grands chefs du nazisme, si bien que nombre d’éléments permettent de les connaître mieux dans la relation qu’ils entretiennent avec le reste de la société allemande. Les différentes «institutions» nationales-socialistes ont été bien étudiées depuis la SS jusqu’à la Gestapo et les officiers de la Wehrmacht. En 2003, Stephan Malinowski a commis une thèse magistrale sur la place de la noblesse allemande au sein des cercles proches du pouvoir entre 1871 et 1945 ; l’une des conclusions est sans appel : les grandes familles ont conservé leurs avantages pendant les années nazies. L’étude de la noblesse est essentielle pour comprendre les arcanes du pouvoir nazi. Fabrice D’Almeida soulève cette lacune bibliographique de taille. Il prolonge donc le travail de S. Malinowski en s’attachant à scruter de très près la vie mondaine sans s’interdire aucun thème dont celui de la complaisance de certaines couches sociales pour le nazisme, au premier rang desquelles les élites allemandes.

A l’appui de sources majoritairement inédites (archives de la chancellerie, le courrier entre le corps diplomatique et la chancellerie, sources des services de la propagande, plans de table des réceptions les plus importantes, sources iconographiques allemandes, sources imprimées, etc.), l’auteur tire de remarquables conclusions de l’étude de la mondanité au temps du nazisme, ce dans les limites de huit grandes parties. D’abord, il s’agit de comprendre comment, dans les années vingt, a émergé la haute société nazie dans laquelle l’on découvre un Hitler salonfähig ; son éducation délivrée par un père autoritaire, fonctionnaire de rang assez élevé, l’a mis au contact de règles de conduite strictes, pas si lointaines des mœurs des élites. Pour autant, malgré des témoignages parfois contradictoires, Hitler semble «apte» à être reçu dans les salons (salonfähig) dès le début des années vingt. Il sait séduire n’importe quel auditoire. Peu à peu, il entre dans des cercles fermés grâce à des membres de la haute société (Eckart, Frau Buchner, Elsa Bruckmann, Helene Bechstein) qui croient aux promesses d’une nouvelle société. Hitler va peu à peu s’initier à toutes les facettes d’une vie de salon et des restaurants huppés ; il n’en continue pas moins à peaufiner ses talents d’orateurs dans les brasseries. Il entre dans le cercle de la famille de Richard Wagner ; Hitler est en extase lorsqu’il écoute les œuvres de Wagner et reste convaincu que l’antisémitisme de ce dernier lui donne raison dans sa démarche raciste. Bayreuth devient alors le grand centre culturel du IIIe Reich. Après la tentative de coup d’Etat, Hitler devient de plus en plus attirant pour certaines élites ; à sa sortie de prison, les succès politiques vont s’additionner et rendre Hitler de plus en plus «fréquentable». Il fait moins peur et continue de chercher à pénétrer n’importe quel milieu des élites ; les bras droits de Hitler tel Göring ont contribué à le porter vers les plus hautes sphères alors qu’il poursuivait sa conquête de l’opinion.

Hitler aimait les soirées de la haute société et notamment la bonne chaire. Cependant, l’historien montre combien les bénéfices sont finalement assez maigres pour les nobles malgré toutes les stratégies de séduction pour se rapprocher de Hitler en adoptant un comportement «politiquement correct». Hitler va contribuer à développer un empire du clientélisme. L’auteur en découvre tous les linéaments. Toutes les règles de réception des grands dignitaires sont observées et décrites. La fidélité se paie à coups de cadeaux et d’avantages fiscaux. Chez les nazis, il existait toute une «courtisanerie» repérable dans les courriers envoyés au Führer dès 1933, avec des marques d’allégeance obligatoires. Une «rétribution symbolique» est mise en œuvre par les services personnels de Hitler. Ce dernier faisait envoyer de nombreuses lettres à l’occasion des anniversaires d’alliés importants qu’il souhaitait convaincre pour obtenir son soutien ; ce système a bien fonctionné pour séduire les industriels. Le chef de la SA, Ernst Röhm, est le seul à être tutoyé par Hitler ; les autres dignitaires nazis en rêvent. La SS développe aussi sa «bureaucratie clientéliste». Faveurs, zèle et disgrâce ne cessèrent de se succéder sous le IIIe Reich. Parallèlement, un patient «travail» de destruction de la haute société juive a été mené. Beaucoup de riches juifs ont fui l’Allemagne dans les années trente. Les cercles relationnels ont été recomposés sous la houlette nazie, par des tactiques d’isolement, d’enfermement et de persécutions progressives. Les spoliations devinrent des pratiques quasi banales. Les élites furent ainsi sélectionnées par le biais de l’antisémitisme d’Etat.

L’auteur se pose une série de questions sur l’existence d’un «luxe nazi», dont la voiture puissante constitue un élément-clé. La domesticité était très fournie chez les nazis ; elle se voyait et se montrait comme un signe ostentatoire de réussite sociale. L’art de la cour nazie est décrit. La mode féminine est étudiée avec soin ; l’auteur écrit page 174 : «le luxe des vrais mondains rejoint l’idéologie au moment d’apparaître [...] le nazisme n’a pas toujours été à la mode.» La démonstration est très convaincante grâce à un ton soutenu et une rhétorique soignée. La perte du bon goût a été manifeste sous le Reich nazi.

L’étude des années quarante permet à l’historien de décrypter avec rigueur les différentes sociabilités dans un Etat totalitaire avec un point fort pertinent sur «les fonctions du Berghof» ou encore le rite de la chasse pour intégrer le cercle très prisé de Hitler. Le monde de la diplomatie est l’objet d’un chapitre qui permet d’entrevoir les efforts du chancelier nazi pour faire bonne impression devant les représentations. La vieille aristocratie allemande s’est bien intégrée au système nazi même s’il n’a pas toujours apprécié l’émergence d’une «aristocratie nazie», dont l’activisme était une valeur primordiale sous la dictature. A travers l’étude du mode de vie des nazis, on observe ainsi le regard que ceux-ci avaient sur la notion de «civilisation». La civilisation fasciste a montré des contours très inquiétants au détriment de l’homme.

Le livre est complété par un appareil critique de qualité, la liste des sources utilisées, une bibliographie sélective, des annexes et un index. Avec cet ouvrage très original et qui apporte beaucoup à la compréhension de la société nazie, Fabrice D’Almeida comble assurément l’une de ces lacunes étonnantes de la recherche en histoire sociale.


Eric Alary
( Mis en ligne le 10/04/2008 )
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