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Poches -> Science-fiction |
| Jean-Philippe Jaworski Janua vera Gallimard - Folio SF 2009 / 8.10 € - 53.06 ffr. / 488 pages ISBN : 978-2-07-035570-9 FORMAT : 11cm x 18cm Imprimer
Dans luvre encore toute jeune de Jean-Philippe Jaworski, ce recueil, publié une première fois en 2007 (poche Folio SF, 2009), forme comme un prélude à lample symphonie quest Gagner la guerre, paru en 2009 et déjà recensé dans ces colonnes. Mais comme il arrive souvent des constructions romanesques les plus habiles, il est à supposer que la majorité des lecteurs suivront un chemin inverse à celui de la chronologie littéraire : à savoir quenthousiasmés par la verve de Gagner la guerre, ils se tourneront avec avidité vers les nouvelles qui en paraissent le complément naturel.
Janua vera satisfera leur attente. Le deuxième récit du recueil, «Mauvaise donne», qui est plutôt un court roman quune nouvelle, permet de découvrir la première carrière du héros de Gagner la guerre, le spadassin Benvenuto Gesufal, et déclairer les circonstances dans lesquelles il sest mis au service de son peu recommandable patron, le podestat Léonide Ducatore. Le ton très personnel et le tempo endiablé de Gagner la guerre sont bien là, et l'on aura plaisir à les retrouver, ramassés en une centaine de pages.
Les huit autres récits qui composent Janua vera sont dune inspiration assez différente et montrent combien est diverse la palette de Jaworski. Tandis que la tonalité générale de Gagner la guerre est lumineuse, avec ses paysages maritimes et côtiers, ses cieux éclatants, ses chaleurs caniculaires, ici la couleur est plus sombre. «Janua vera», récit qui ouvre le recueil et lui donne son nom, et «Le Confident», la nouvelle qui le referme, se déroulent dans une atmosphère nocturne, placée sous le signe du songe et de la nécromancie. Tandis que dans le roman paru aux Moutons électriques, le décor emprunte beaucoup à la Renaissance italienne, ici lambiance est nettement médiévale. Nous quittons la République de Ciudalia pour les hameaux, les bourgs et les seigneuries du continent, où des chevaliers lourdement armés saffrontent en tournois ou guerroient contre des hordes barbares. Le goût pour le burlesque («Jour de guigne») voisine avec la réflexion philosophique, les moments de suspense avec les scènes de la vie quotidienne.
Une nouvelle fois, Jean-Philippe Jaworski se révèle fin paysagiste, qui sait décrire en phrases justes et précises les campagnes, les forêts, le passage des saisons. Le «Conte de Suzelle», qui prend place au cur du récit, a le charme dune pastorale de George Sand, et la ressemblance nest sans doute pas involontaire, car, en un discret clin dil à la romancière, lauteur situe une autre de ses nouvelles dans un village nommé Noant-le-Vieux. Nous quittons la Venise recomposée de Gagner la guerre pour des contrées qui rappellent les jardins de Touraine, les montagnes dAuvergne ou la Vallée noire du Berry. Janua vera est bien une «porte véritable», suivant le sens latin de lexpression, une porte qui ouvre une uvre littéraire et qui ouvre vers dautres uvres et dautres temps.
Bien à tort, on a reproché à Jaworski davoir placé dans ces récits héroïques ou naturalistes des elfes à la Tolkien, princes aux yeux dazur, majestueux et distants. Il faut au contraire goûter cet hommage au vieux maître, au même titre que ceux que lauteur rend à Rutebeuf ou Christine de Pizan. Il faut aimer les elfes : ils sont le rêve, la poésie, le panache, ils sont ce qui résiste au passage du temps. Ils sont la meilleure part de lhumanité.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 06/11/2009 ) Imprimer
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