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Poches -> Science-fiction |
| Kurt Vonnegut Le Pianiste déchainé Gallimard - Folio SF 2010 / 7.70 € - 50.44 ffr. / 489 pages ISBN : 978-2-07-039934-5 FORMAT : 11cm x 18cm
Traduction d'Yvette Rickards Imprimer
Dystopie, lutopie en sens inverse, le pire des mondes possibles, un genre en soi dans la SF, assez peu fréquenté, mais magistralement illustré par le 1984 de Georges Orwell ou encore Fahrenheit 451 (Bradbury), Le Meilleur des mondes (Huxley)
Avec Le Pianiste déchaîné, de Kurt Vonnegut Jr (Abattoir 5, entre autres), on découvre une nouvelle dystopie, où le totalitarisme nest cette fois plus idéologique, mais mécanique.
LAmérique, dans un futur proche : la guerre froide a finalement dégénérée en guerre chaude, la 3ème guerre mondiale, et dans la foulée, la machine a remplacé lhomme alors occupé sur dautres fronts - à larrière, puis sy est imposée. Avec la paix, est arrivé, inévitablement, le chômage, ou bien un ersatz de travail (au choix pour les vétérans et leurs descendants : larmée ou la reconstruction-récupération)
Lhomme de la rue na plus davenir et, dans une société demeurée attachée à léconomie libérale, il végète.
Dans cet univers, le docteur Paul Proteus est un homme puissant et arrivé : placé à la tête dIlium-works, la cité-usine réglée par les machines, il contemple, depuis son bureau, ce qui fut le cur de la révolution industrielle, disposant même, dans son petit royaume mécanique, de lancien atelier dEdison. Tout un symbole, et tandis que dehors, lAmérique et le monde se sont peu à peu trouvés dépossédés du travail, Paul Proteus doute de la légitimité du système quil a contribué à créer, un monde où une caste étroite de capitalistes et d'ingénieurs domine une société déboussolée.
Ce pourrait être le paradis du farniente, mais cest un enfer. Visite donc de lAmérique future, son industrie conquérante, ses élites déprimées ou ambitieuses, ses loisirs officiels (les camps de vacances pour cadres de Meadows et Mainland avec séparation des sexes, hymnes officiels et loisirs imposés)
Un seul personnage paraît samuser : le Chah, en visite officielle, qui observe la situation et fait voler, dun mot, les hypocrisies du système.
Certes, Kurt Vonnegut Jr nest pas Georges Orwell, il nen a ni la plume, ni la colère
et Big Brother fait un tyran bien plus inhumain, dans ses contradictions assumées, que la machine
Mais la dystopie développée dans cet ouvrage décline assez efficacement le thème, celui dune société finalement abandonnée aux machines, où lhomme, faute de travail, perd sa dignité. Et comme dans 1984, la société est partagée entre une élite ici de diplômés et la masse, non plus des prolétaires, mais des non diplômés.
Paul Proteus est un Winston Smith en puissance : loin de profiter de son empire, il sen inquiète plutôt, harcelé par la population des anciens prolétaires, qui ne sont même plus prolétarisables, juste mis au rencard dans une cité délabrée. La vieille malédiction divine «tu gagneras ton pain à la sueur de ton front» fait encore son petit effet et dans le pays dHenry David Thoreau, les hommes se languissent du travail à la chaîne. Surtout, la réflexion car qui dit dystopie dit logiquement parabole philosophique sétend rapidement aux idéaux de lAmérique industrielle : le libéralisme économique, le capitalisme, la réussite par le travail, la reconnaissance, la libre concurrence
Une belle dystopie américaine, dans un style un peu désuet (le roman date de 1952 et savère assez daté dans sa vision du futur), mais rafraîchissant, et par un auteur rare de lâge dor.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 22/07/2010 ) Imprimer | | |
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