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Bande dessinée -> Autre |
| Olivier Schrauwen L’Homme qui se laissait pousser la barbe Actes Sud - l'An 2 2010 / 22 € - 144.1 ffr. / 112 pages ISBN : 978-2-7427-9443-0 FORMAT : 21,5x26 cm Imprimer
On se souvient du premier album dOlivier Schrauwen, ce drôle dobjet quétait Mon fiston. Absurde, angoissant, parodique et inclassable, louvrage visitait des territoires narratifs encore peu arpentés et relatait avec une fantaisie un peu noire les affres dun père et de son bébé très laid. Ce deuxième ouvrage, avec son titre improbable, se propose dexplorer encore plus profondément des domaines vierges et sauvages, là où la main de lartiste na encore jamais posé lencre
Olivier Schrauwen ne va pas dans le sens du vent et samuse à bousculer son lecteur, lui proposant quelque chose de résolument différent. Certains partiront en courant, les autres, quon espère nombreux, sarrêteront là comme pour une étape salutaire, une escale revigorante.
Doù vient en effet que, malgré un dessin peu séducteur (entendre « qui ne cherche pas à séduire »), des pseudo récits absurdes sans début très clair ni fin précise et un ton singulièrement autre, cet album accroche à la mémoire des images difficiles à effacer ? Cest que justement Schrauwen sait marquer les esprits avec des représentations fortes, et des suites de vignettes captivantes qui viennent titiller lesprit. Une fois lidée acceptée que lon est là en terrain inconnu, sans repère ni boussole (difficile de citer une référence, une ressemblance, un parrain), on pourra donc se délecter dun moment de lecture intelligent et fort, drôle et inquiétant.
Sept courtes histoires (essais ? exercices ? poèmes ?) composent ce livre. Sept variations autour de thèmes qui se répètent : limaginaire, la création, le pouvoir dun dessin, mais aussi linfirmité, la peur de lautre, légoïsme. Les messages ici envoyés ne sont pas tendres pour lespèce humaine souvent rongée par la solitude ou le handicap qui la font devenir agressive et mauvaise. Lissue de secours à cette violence sourde serait limagination et la création. Le dessin, mais aussi une image tombée dune plaque de chocolat ou un assemblage de figurines en terre cuite auraient ainsi ce pouvoir de catharsis nécessaire à adoucir une existence difficile.
Au-delà de ces thèmes généraux que lexégète minutieux se plaira à rassembler, chaque récit peu se lire indépendamment des autres, et cest toujours une petite pépite qui saute au regard.
« Congo chromo » nous emmène sur les terres du Congo colonisé. Deux émissaires belges que tout oppose font face à la dure loi de la jungle. Une image sortie dune plaque de chocolat devient le seul refuge de lun jusquà ce que cette vision devienne incongrûment réalité.
« Types de cheveux » est un cours magistral sur les différents modèles capillaires et leur lien avec le caractère dun individu. La démonstration est évidemment implacable puisquelle est accompagnée dexemples précis ! Dessiné à la façon dancienne gravure ou publication scientifique, lessai samuse dun rien avec finesse mais parvient aussi à déranger en mettant en scène des personnages quelque peu perturbés.
« Le Devoir », troisième histoire de ce recueil, est peut-être aussi la plus frappante : un cours de dessin met en opposition deux élèves. Le premier est pragmatique, précis et carré, et boucle son devoir en quelques instants. Le second se perd dans des méandres graphiques et senfonce dans son dessin devenu lieu menaçant et dangereux, mais ô combien vivant et dynamique. Métaphore graphique du combat de lavant-garde contre lacadémisme ? Du travail laborieux contre la facilité ? Chacun pourra y voir ce quil veut.
« LHomme qui se laissait pousser la barbe » se déroule en deux temps. On suit le voyage dun homme à travers la campagne puis sur les voies ferrées, avant de revenir sur les mêmes chemins mais sublimés, enjolivés. Si rien nest, comme toujours dans cet album, explicitement commenté, on peut se plaire à imaginer que lhomme, avant une mort certaine, fantasme sur ses dernières heures et fait de sa pauvre vie une formidable odyssée. On peut aussi y voir comme un exercice de style à la Queneau, ou deux variations autour dun même canevas de départ.
On retrouve ce principe de vie « réelle » et rêvée dans deux autres récits : « Le Château » où une grand-mère est le souffre-douleur pour de faux dun jeune homme à limagination débordante. Dans « LImaginiste », les deux mondes sont encore mis en parallèle : les dialogues entendus et les scènes vues dans un état semi-comateux étant le point de départ dune incroyable fantasmagorie où, forcément, la victime a le beau rôle.
« La Grotte » enfin revient sur lorigine de la vie : une vie créée de lencre noire où tout serait modelable et corrigeable à loisir pour peu que lartiste aux commandes en ait la compétence.
Tout au long de ses pages, Schrauwen samuse à changer de style de dessin, dune histoire à lautre certes mais aussi à lintérieur dun même récit, dune planche à lautre, bousculant ainsi encore un peu plus un lecteur (trop) habitué à une continuité graphique propre et sans bavure. Ainsi, le dessin précis précède une case où le rendu naïf lemporte. La perspective sefface soudainement pour laisser place à des vues plates et sans relief. Lensemble est ainsi mouvant, en perpétuelle transformation, comme le dessin du pauvre élève du « Devoir ». La bande dessinée, lieu artistique où tout est possible, où le changement de vignette peut conduire à une chute vertigineuse, puis encore une autre, vers des ailleurs inédits.
De loin lun des livres les plus originaux de cette année, et encore une belle découverte de la paire déditeurs Actes Sud-LAn 2.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 06/12/2010 ) Imprimer
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