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Voyage au bout de la nuit
Leiji Matsumoto   Galaxy express 999 (vol. 1)
Dargaud/Kana 2004 /  6.25 € - 40.94 ffr. / 264 pages
ISBN : 2871296863
FORMAT : 12,7x18 cm
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Tetsurô vit auprès de sa mère depuis que son père a été assassiné pour raison politique : l’homme était un féroce opposant à la robotisation des humains, nouveau mal universel en cette époque futuriste décadente. Mais sa mère tombe à son tour sous les balles du Comte Mécanique, un cruel androïde dépourvu de toute pitié. Avant de mourir, cette dernière demande expressément à Tetsurô d’embarquer à bord du bien nommé Galaxy express 999 afin de rejoindre une mystérieuse planète où l’adolescent pourra acquérir gratuitement un corps robotisé et accéder ainsi à la vie éternelle. Recueilli par une mystérieuse et belle jeune femme, Maetel, qui lui offre un billet pour le fameux train intergalactique, Tetsurô se jette alors à corps perdu dans une aventure terriblement dangereuse et ardue.

Réédition d’un manga paru pour la première fois au Japon en 1977, ce premier volume se révèle d’emblée un voyage initiatique périlleux à l’issue incertaine. Matsumoto aborde à nouveau des thèmes largement développés dans ses précédentes œuvres (telles que Submarine Super 99), cristallisant avec talent les peurs de son temps. SF pessimiste, cette série nous relate les aventures d’un jeune héros passablement révolutionnaire en opposition à un système totalitaire. Les dangers de la science sans conscience, la peur du progrès incontrôlé et ressenti comme une terrifiante fuite en avant, autant de sujets anxiogènes ressassés par l’auteur qui nous dépeint ici un monde déshumanisé et glacial (soutenu par un trait sommaire qui renforce l’impression de malaise) où la loi du talion s’est imposée aux dépens des plus faibles.

Dans cet univers d’insécurité et de peur, Matsumoto fait peu de cas du malheur de ses héros et la vie n’a guère de valeur : beaucoup de morts en effet, sur lesquels on s’attarde peu, qui ne sont finalement que le faire-valoir d’un scénario implacable, rôdé comme une machine de guerre. Le rapport oppresseurs/opprimés, avec la Toute-Puissance des androïdes (hommes qui ont renoncé à leur enveloppe charnelle pour un peu d’éternité) ayant droit de vie et de mort sur les humains, s’inscrit comme une allégorie dérangeante de la discrimination raciale, avec en filigrane le spectre de l’épuration ethnique. Le tout saupoudré d’un humour particulièrement grinçant dont le cynisme n’a d’égal que la virulence, avec notamment un Comte Mécanique sanguinaire qui chasse l’Homme comme on chasserait du vulgaire gibier, et n’hésite pas à empailler la mère de Tetsurô pour en accrocher le trophée dans son salon…

Par ailleurs, cet étrange voyage qui oscille entre onirisme doucement poétique et cauchemar sans fin soulève de douloureuses questions existentielles. Tetsurô, en voulant accéder à la vie éternelle, risque d’y perdre son humanité. Maetel, au travers de mises en garde à peine voilées, ne manque pas de lui rappeler que c’est parce que l’Homme est mortel que sa vie a un sens. Comment les choses pourraient-elles avoir une valeur autrement ? Et comment l’être humain pourrait-il revendiquer une quelconque responsabilité dans ses actes s’il ne devait jamais disparaître ? Une fois envolée la crainte du Jugement Dernier, ultime garde-fou d’une civilisation au bord de l’implosion, qui pourrait empêcher une dérive ultra individualiste ? Questionnement terriblement visionnaire chez Matsumoto, qui nous renvoie à l’enjeu majeur de notre époque post-moderne : au-delà de la peur de la maladie et de la mort, c’est avant tout la perte de toute morale qui ronge notre société actuelle. Bien que remplacée pudiquement par le terme d’« éthique », beaucoup moins vulgaire aux yeux de nos contemporains facilement choquables et outrancièrement pudibonds, son effondrement n’en est pas moins la cause de toutes nos souffrances. Avec le recul du sentiment religieux (au sens premier du terme) en Occident et la négation de notre appartenance à un groupe reposant sur des valeurs fondatrices communes, notre société actuelle fait écho à celle des Humains de Galaxy Express 999 qui vendent leur âme au Diable, préférant renoncer à leur humanité et aspirer à une éternité pleine d’incertitude, quitte à y perdre leur identité et à laisser prise à un terrorisme ambiant destructeur.

C’est ainsi une véritable leçon d’humilité que nous donne Matsumoto en nous exhortant à apprendre à vivre ici-bas et à accepter notre condition de simples mortels. Fataliste mais non dénué d’espoir, ce renoncement redonne à la vie la dimension unique dont elle n’aurait jamais due être dépouillée, l’éphémère créant tout le piquant et l’intérêt d’une existence circoncise dans le temps. Avec toujours cette sourde angoisse du passage à la postérité (quelle trace laissera-t-on sur Terre ?), crainte qui à elle seule libère l’individu en le rendant maître de sa destinée (l’homme est ce qu’il fait) : alors Matsumoto, existentialiste convaincu ? Enfin, les explications sur les noms des personnages en fin de volume prouvent une fois de plus que l’auteur ne laisse rien au hasard et use d’un symbolisme foisonnant qui fait de chacune de ses créations des œuvres à part, bien plus dérangeantes qu’il n’y paraît…


Océane Brunet
( Mis en ligne le 01/10/2004 )
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