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Bande dessinée -> Réaliste |
| Serge Huo-Chao-Si Appollo La Grippe coloniale (tome 1) - Le retour d'Ulysse Vents d'ouest - Equinoxe 2003 / 12.50 € - 81.88 ffr. / 56 pages ISBN : 2749300967 FORMAT : 24 x 32 cm
Prix de la Critique BD 2003 (Angoulême) Imprimer
Voici un album original, par le contraste (établi) entre le réalisme du propos et la fantaisie du dessin. Le premier tome de La Grippe coloniale la série en comptera deux raconte le retour de quatre soldats de la Grande Guerre sur leur île natale, la Réunion. La narration se déploie sur trois plans : le destin individuel de ces anciens combattants rendus à la vie civile ; le développement progressif de lépidémie de grippe espagnole qui ravage bientôt lîle ; un tableau de la société coloniale réunionnaise daprès-guerre.
Quatre amis donc : Evariste, le protagoniste principal, par les yeux duquel nous est contée lhistoire, petit bonhomme paisible et sans illusions qui cherche à renouer avec la vie insouciante davant-guerre ; Grondin, géant paresseux et rigolard, réputé pour sa baraka dans les tranchées ; Voltaire, tirailleur sénégalais valeureux et irascible, dont les ambitions sociales se heurtent au rejet que lui vaut la couleur de sa peau ; Camille enfin, fils de laristocratie locale, engagé volontaire puis défiguré en 1915, qui ne parvient à renouer avec son milieu. On suit pas à pas le destin contrasté de ces quatre comparses, lors des différentes étapes de leur retour à la vie civile : laccueil au port, la soirée au bordel, puis la recherche, sinon dun métier, du moins dune activité qui les réintègre dans lîle. Rapidement cependant, ce vain désir dinsouciance va se heurter à lapparition dun mal fulgurant la grippe espagnole qui frappe de plein fouet cette société immobile, ainsi rattrapée par les horreurs du continent quelle a voulues ignorer.
Cest que nous est brossé le tableau dune société encore coloniale. On sent, chez les auteurs, une connaissance intime de lîle, dont ils cherchent à restituer les différentes dimensions, notamment la dureté des rapports sociaux, à la fois verticaux entre les privilégiés et le petit peuple et horizontaux entre les différentes communautés ethniques qui composent la société insulaire : Noirs, Chinois, petits ou «gros Blancs», Indiens enfin (létonnant médecin). Vision «de gauche» donc, où riches et puissants sont à la fois cyniques, lâches et incompétents. Mais les auteurs dépassent parfois ce schématisme par la peinture de personnages qui échappent à leur détermination sociale, ou plutôt dotés dune épaisseur humaine qui les fait exister au-delà de ces catégories.
Le ton est donc essentiel. Dominé par des récitatifs (une voix-off), il nous livre, en contrepoint, les commentaires du personnage principal, à la fois détachés et attachants, sans jamais être redondants avec limage, dautant plus quemployés avec économie, les auteurs nhésitant pas à recourir aux cases muettes pour souligner, qui, une atmosphère, qui, létat desprit dun personnage. Cette narration très fluide, qui prend son temps, avec une mise en page et des cases aérées, nen ménage pas moins quelques scènes fortes : lorsque laffable Grondin, par exemple, révèle, au détour dune altercation, une froide violence directement issue des tranchées ; ou bien le récit mélancolique et amer, à la fenêtre dune opiômerie, des fraternisations de guerre, et de leur répression ; la fuite, enfin, vers lintérieur de lîle, de toute une population apeurée par lépidémie, en un long cortège nocturne qui épouse tant les reliefs insulaires que les clivages sociaux.
Le dessin est à limage du propos : contraste entre des contours «tremblés» tracés à la plume, faussement hésitants, et le soin apporté à la mise en couleur, toujours au service de latmosphère ; contraste aussi entre le traitement des corps et des visages, volontairement caricatural mais les «sales trognes» ne sont pas forcément les personnages les plus méprisables et des décors beaucoup plus réalistes, qui visent à restituer ce monde disparu. Un style volontairement original, donc, dont il faudra attendre le deuxième opus pour savoir comment il sépanouira.
Xavier Lapray ( Mis en ligne le 30/05/2004 ) Imprimer | | |
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