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Bande dessinée -> Réaliste |
| Chantal Montellier Odile et les crocodiles Actes Sud - l'An 2 2008 / 19.50 € - 127.73 ffr. / 62 pages ISBN : 978-2-7427-7137-9 FORMAT : 22 x 30 cm Imprimer
Depuis 2003 et la publication chez Vertige Graphic de Social Fiction, regroupant trois albums parus entre 1978 et 1982 dans Métal Hurlant, Chantal Montellier est revenue en force sur le devant de la scène BD. Les Damnés de Nanterre en 2005 puis Tchernobyl mon amour en 2006, notamment, auront été très remarqués par la critique. Au moment où Montellier vient de terminer The Trial, une adaptation du Procès de Kafka à paraître en Grande-Bretagne au mois de mars, les éditions Actes Sud et LAn 2 publient de ce côté-ci de la Manche une nouvelle édition dOdile et les crocodiles, paru en 1984. Nouvelle couverture, fonds de pages colorés, retouches et recomposition de certaines planches : voilà pour le toilettage de lalbum qui, par ailleurs, na rien perdu de sa force.
Odile, lhéroïne de cette histoire, est victime dun viol dans un parking sous-terrain. Au terme dun procès mené à la va-vite, les trois inculpés sont acquittés et, à la faveur dun trop classique retournement de situation, la « femme salie » devient aux yeux de tous « une sale provocatrice » (on pensera aux Accusés, le film de Jonathan Kaplan sorti en 1988). Détruite par son agression et le verdict du juge, Odile pousse la porte dun psychanalyste, espérant entamer un chemin de reconstruction, mais celui-ci savère aussi caricatural que machiste (la scène est dailleurs une perle dhumour cynique, un des nombreux aspects du talent de Montellier). Puisquelle na rien à attendre de la justice des hommes ni des pansements freudiens, Odile ouvre les vannes de ses pulsions de vengeance : dans cette jungle peuplée de crocodiles, désormais ce sera elle, la prédatrice. Son premier meurtre, elle ne la pas prémédité. Mais rapidement, elle se met à « chasser le crocodile », engeance fréquemment observée au cur de la nuit urbaine.
Tout lalbum ou presque est un récit à la première personne. Allongée auprès de son amant, Odile lui raconte son histoire et son odyssée meurtrière. Ce procédé permet une prise de recul, un questionnement dOdile sur elle-même, qui évite un double écueil : celui dun propos radicalement hostile à la gent masculine, et celui qui reviendrait à justifier une loi du Talion exacerbée (selon la logique suivante : « un crocodile ma détruite, jexterminerai lespèce »). Si Odile a fini par se reconstruire (le contexte amoureux dans lequel elle parle le confirme), elle nest cependant pas prête à oublier. Tout le propos de Montellier est là : rappeler que lhorreur du viol est indélébile. Le viol, ici érigé par lauteur en symbole extrême du « servage de la femme » (lexpression est empruntée à Rimbaud, cité en exergue de lalbum), quil nest toujours pas, en 2008, ridicule de dénoncer. Car, si les femmes vivent bien sûr aujourdhui davantage « pour elle[s] et par elle[s] » (Rimbaud, toujours), combien encore de femmes battues, excisées, violées, voilées ou pornographiées ?
La réédition de ce très bel album, au scénario finement ciselé et au graphisme classique et épuré, est donc à saluer. Les Accusés avaient valu à Jodie Foster lOscar de la meilleure actrice ; souhaitons que la renaissance dOdile soit daussi bon augure pour son auteur !
Anne Bleuzen ( Mis en ligne le 20/01/2008 ) Imprimer
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