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Bande dessinée -> Chroniques - Autobiographie |
| Nikolaï Maslov Une jeunesse soviétique Denoël - Graphic 2004 / 20 € - 131 ffr. / 104 pages ISBN : 2 20725618 9 FORMAT : 21 x 29,7 cm Imprimer
Née dans un contexte assez particulier, la première uvre de Nikolaï Maslov diffère de la bande dessinée russe contemporaine qui nest, selon Emmanuel Carrère qui préface louvrage, que le fait de jeunes artistes « branchés » sadonnant essentiellement aux mangas. Lauteur nest plus tout jeune (une cinquantaine dannées) et naurait sans doute jamais été publié sil nétait allé rencontrer le Français Emmanuel Durand, éditeur dAstérix en russe et directeur à Moscou de la maison dÉdition-Librairie Pangloss. Voyant quelques planches de Nikolaï Maslov, Durand la incité à continuer et lui a même prodigué une avance sans laquelle lauteur naurait pu achever son essai, gardien dimmeuble précaire quil était.
Une jeunesse soviétique commence en 1971 en Sibérie occidentale et sachève en 2000 à Moscou. Le récit, mené à la première personne, est autobiographique, voire initiatique. Comme tout enfant, le jeune Nikolaï, ou plus simplement le jeune Kolia, est un peu naïf ; il nous livre ses premiers rêves, ses premières illusions. On le regarde plein despoir écouter lORTF, imaginer les Parisiens et se demander, allongé sur son lit, les bras repliés derrière la tête, ce que portent les Français qui descendent des Champs-Élysées. Maslov raconte son adolescence, sa vie avec ses parents et ses deux frères Oleg et Pacha, leurs promenades à pied le long de lOb, les balades en camion avec les copains et les cours déducation civique qui leur apprennent que « dannée en année, le bien-être du peuple soviétique saccroît ». On observe les bandes rivales qui saffrontent pour un rien, pour se distraire. Et les effets de la première vodka quon a du mal à digérer. Ses dessins appliqués du luxueux Pont-Neuf et des ports bretons tranquilles contrastent avec ceux des paysages terreux et des rudes villages sibériens qui offrent au lecteur dauthentiques aperçus sur larchitecture et latmosphère dune région. Puis les images deviennent plus expressives, le dessin plus libre au fur et à mesure que le jeune homme découvre la vie et que son caractère saffermit.
Lenfance sachève et lentrée dans lâge dhomme coïncide avec la mort du père et lappel de larmée. Il effectue son service militaire en Mongolie, alliée du régime soviétique, part vers lEst bercé par les chants des soldats, traverse des déserts parsemés de yourtes et de chameaux. Mais son envie de liberté se matérialise par quelques tentatives de désertion. Les bons moments comme les mauvais sont croqués avec tendresse et humour. Surtout celui où, ses talents de dessinateur repérés, on le charge de créer des affiches de propagande mensongères pour le compte du régime.
Puis le retour au pays, le travail sur des chantiers avec Oleg. Les structures en métal et les ouvriers qui travaillent en haut des mats au péril de leur vie sont rendus avec précision. Les beuveries, les joutes entre amis et le désarroi de toute une génération qui se sent bernée, revivent sous des traits énergiques qui traduisent en filigrane le scepticisme et le regard critique de lauteur. Puis Kolia comprend : il réalise quil souhaite avant tout dessiner. Il intègre une école dart dans la capitale où on lui serine que « lart soviétique a vocation à montrer les avantages du mode de vie soviétique. » Il quitte ensuite la Sibérie pour Moscou où, de petits boulots en petits boulots, il sinstalle en 1979 et tente dentrer à lInstitut polygraphique. Mais les portes lui sont fermées. On dit quil peint de manière occidentale. Une lente dépression sinstalle, surtout provoquée par le décès du frère, la chute dans lalcool et un passage à lhôpital psychiatrique. Il en sort résigné, renonce à ses ambitions et devient gardien dimmeuble. Mais
Cette histoire, sans en être vraiment une (il sagit plutôt de tranches de vie), fut aussi celle de nombreux jeunes Russes traînés par un système qui leur demandait avant tout de se résigner, daccepter un destin sans perspective davenir, les abandonnant à la vodka, les laissant sans rien à se mettre sous la dent. Les dessins sont vifs et rigoureux et constituent détonnants témoignages sur la ville et la campagne. Les robustes physiques en proie à lalcool et les joyeuses saouleries sont décrites au même titre que les conditions de travail, la précarité et lomniprésence du régime dans la rue. Lensemble, sans être très gai, est très touchant ; il emprunte aussi bien au roman (Axionov, Dovlatov) quau cinéma (Pavel Lounguine, réalisateur de La Noce et dUn nouveau russe
). Les dessins à la mine de plomb, le plus souvent à lhorizontale, parviennent à recréer des situations et à rendre laction avec beaucoup de rythme, même sans lappui du texte. Proche du documentaire (découpage par plan, plongée et contre-plongée), Une jeunesse soviétique est luvre dun dessinateur confirmé qui parvient à transmettre avec talent ses sensations, son amertume et son attachement au pays. Le lecteur plonge grâce à lui au cur de lâme russe.
Nathalie Meyer ( Mis en ligne le 10/10/2004 ) Imprimer | | |
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