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Bande dessinée -> Chroniques - Autobiographie |
| Olivier Ka Alfred Pourquoi j’ai tué Pierre Delcourt - Mirages 2006 / 14.95 € - 97.92 ffr. / 112 pages ISBN : 2-7560-0380-8 FORMAT : 20 x 26,5 cm Imprimer
Pour le troisième été de suite, Olivier passe ses vacances dans le camp dirigé par Pierre. Olivier est un enfant sans histoires, élevé par des parents babas dans une ambiance détendue et rassurante. Pierre est curé ; il est lami de la famille depuis quelques années et sentend parfaitement avec le jeune garçon. Du haut de ses 12 ans, Olivier voit ce religieux anti-conformiste qui porte le jean et la chemise comme un gros bonhomme affectueux et rigolo, une montagne de douceur et de tendresse, toujours le mot pour rire, lil pétillant et dont la barbe joliment fleurie lui donne lair dun gros ogre sympathique.
Mais cet été-là, quelque chose va mal tourner. Pierre, forcément insoupçonnable, devient le temps dune trop longue nuit diabolique et manipulateur. Il demande à Olivier de toucher son corps et caresse lui-même le ventre du petit garçon. Lévénement, dabord refoulé finira par reprendre le dessus, de plus en plus fort et marquant, et au fil des ans, lenfant abusé devient un adulte qui ne peut oublier.
Avec ce récit autobiographique au sujet grave et toujours délicat à appréhender, Olivier Ka se livre, pour tout poser à plat, revivre ce qui sest passé autrefois pour mieux vivre aujourdhui, et puis parce que « cest aussi efficace quune psychanalyse ». Lauteur approche de la quarantaine, mais les souvenirs sont toujours là, la blessure ne peut cicatriser, et il sagit aujourdhui de briser le secret et de casser la honte qui lenserre. Olivier Ka a beaucoup écrit pour les enfants et cest cette fois à son tour de redevenir lenfant quil était, et de se raconter sa propre histoire. Il revient sur ses tendres années et tente de cerner (aidé par le pinceau d'Alfred en loccurrence) les points principaux qui lont conduit jusquici, jusquà écrire ce livre. On le voit ainsi tiraillé entre une éducation religieuse prodiguée par ses grands-parents et lambiance libertaire et libérée du foyer parental. Il est un jour mis en garde contre les flammes de lenfer par sa grand-mère, et le lendemain en train de se baigner au milieu de ses parents et de leurs amis totalement nus. On le suit plus tard amoureux puis père, et enfin craquer le jour dun mariage alors que quelques enfants de chur ségosillent avec passion. Et on le voit enfin, partir avec Alfred sur les lieux de son enfance, revenir vers ce centre de vacances autrefois tenu par Pierre, espérant trouver là une conclusion à son livre, une fin, heureuse ou non, mais qui mette un terme à ce calvaire. Louvrage est alors en train de se faire sous les yeux du lecteur, impliquant celui-ci, sans voyeurisme aucun, dans ce qui devient une sorte de reportage dur et bouleversant.
La grande force de Pourquoi jai tué Pierre, au-delà dun sujet qui ne peut laisser quiconque indifférent, est dans la façon dont Olivier Ka et Alfred racontent ce morceau de vie. Lauteur ne tombe jamais dans le racolage ou le pathos facile, le sujet est suffisamment grave pour ne pas en rajouter: des angoisses et des souffrances dOlivier, on ne saura ainsi pratiquement rien. Seul compte son rapport complexe à Pierre, de lamitié à la haine en passant par le déni et la douleur. À limage de la couverture où les deux visages simbriquent, lalbum raconte ce lien indéfectible et fort, cette colère que porte Olivier Ka en lui, cette trace indélébile qui lui fait écrire plus tard: « Pierre est là !(
) Il est partout, dans le terrain, derrière chaque arbre, chaque relief. Dans mon ventre, dans ma tête partout. Il prend toute la place. »
Le dessin tout en souplesse et belle stylisation dAlfred sadapte paradoxalement parfaitement à ce récit poignant et aride: cest limage dun monde vu à travers les yeux dun enfant ; à la fois sublimé, exagéré et tout en naïveté. Puis, le style se grippe, le trait se tord et seffiloche, ou au contraire il devient plus pâteux et sombre, jusquau noir total. Parfois, peut-être, quelques effets sont comme en trop et rendent trop sophistiqués ou spectaculaires des mots et des souvenirs qui nen demandaient pas tant pour marquer. Mais lensemble reste dune grande sensibilité et suffisamment bien mené pour ne pas étourdir son lecteur.
Un album très fort donc, prouvant sil en était encore besoin que la bande dessinée a autant de moyens que nimporte quelle autre forme de récit pour traiter des sujets les plus graves.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 26/09/2006 ) Imprimer
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