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Bande dessinée -> Humour |
| Ptiluc Jeux sans frontière Paquet 2014 / 10.50 € - 68.78 ffr. / 48 pages ISBN : 978-2-88890-647-6 FORMAT : 21,5x29,5 cm Imprimer
Il est loin le temps de Tintin au Congo ! Dépassée, lépoque où les blancs pouvaient prêcher la bonne parole aux petits africains au nom de Dieu et de leurs ancêtres les Gaulois. Les colonies sont toujours là, mais le modèle européen a pris un coup dans laile.
Ptiluc a toujours eu un faible pour la satire cynique, souvent par le biais de métaphores animalières. Cette fois-ci, il dessine ouvertement la vie dun trio bien humain ; à défaut de situer laction dans un pays précis, il dresse un bilan général des ONG dans une Afrique de réfugiés et denfants soldats. Pour ce faire, le dessinateur sappuie sur ses expériences et ses rencontres au Niger, au Burundi, au Burkina Faso et en Centrafrique.
Très vite, Ptiluc samuse à marquer ses distances avec le Congo dHergé : maintenant, Tintin et le capitaine Haddock font partie de Toubib Sans Frontière Belgium et abandonnent leurs collègues français pour mieux se positionner dans la campagne HIV-Sida. Car les intérêts humanitaires masquent mal la réalité des enjeux, à la fois économiques et géopolitiques. Les occidentaux se partagent le territoire, comme cet abbé belge qui, au lieu de secourir Tintin des alligators, arme les enfants pour protéger ses mines de diamants. Non seulement leur aide est aléatoire, mais elle est contreproductive, se confondant parfois avec le trafic darmes.
Quant aux Africains eux-mêmes, ils tirent leur épingle du jeu en montant des affaires individuelles, ou choisissent de rester spectateurs des joutes entre les blancs. Il y a ces enfants équipés tout à la fois de tétines et de kalachnikov, qui réclament aux voyageurs des bonbons ou des tubes de colle. Il y a aussi le Maréchalissime de lopposition qui dénonce les pouvoirs coloniaux mais voit surtout en eux les clés dune médiatisation efficace. Il y a, enfin sympathique, le débrouillard qui fait vivre le bizness international tout seul sur son vélo, en négociant si nécessaire avec les puissantes ONG. Les relations post-coloniales nont pas supprimé les anciens rapports de domination, mais elles les font vaciller dans un va-et-vient permanent. Dans la foulée, Ptiluc invite un autre dessinateur dépassé par les caprices de lHistoire : il sagit dHugo Pratt, dont les personnages de Corto Maltese et de Cush sont aussi démunis lun que lautre. Il ny a pas de place ici pour lidéal, quil soit romantique ou religieux.
Tout voyageur dans le monde des ONG reconnaîtra quelque chose dans ce portrait à charge. Ptiluc tire fort, et juste ; en jouant à fond la carte du cynisme et de loutrance, il échappe paradoxalement à laccusation de caricature. Cest souvent drôle, et toujours riche en détails amusants.
Lalbum est dessiné avec énergie et volonté, car lauteur na visiblement pas renoncé à lespoir autant quil le prétend. Ses personnages sessayent parfois à des tirades morales, qui tombent généralement à leau devant le désastre général. Cest notamment le cas à la fin du récit, quand un animateur à la Frédéric Taddei cherche à constituer un plateau de télévision sur lhumanitaire en Afrique. Ptiluc nous montre des médias déconcentrés, uniquement à laffut des bruits des peoples et sans intérêt pour le terrain.
Cest que lui-même, tout en écrivant « que Dieu a abandonné lAfrique depuis longtemps », refuse dadmettre que lhumanité en fasse autant.
Clément Lemoine ( Mis en ligne le 29/06/2014 ) Imprimer
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