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Bande dessinée  ->  Humour  
 

Humour noir et rire jaune
Miguelanxo Prado   Chroniques absurdes (tome 1) - Un monde délirant
Dupuis - Expresso 2004 /  9.50 € - 62.23 ffr. / 48 pages
ISBN : 2-8001-3580-8
FORMAT : 21 x 30 cm
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Vivre dans une ville créée par Miguelanxo Prado relève de l'exploit surhumain, tant toute action, jusqu'à la plus banale, devient un chemin de croix et une succession d'embûches aussi drôles pour le lecteur qu'elles sont terrifiantes pour les protagonistes. Une simple promenade dans un parc peut finir en carnage général entre le badaud inconscient et une horde de chiens féroces. De même, se porter au secours d'un jeune homme renversé par une voiture folle est peut-être le plus sûr moyen pour se faire épingler par une bande de policiers déchaînés et stupides. Dans le quotidien délirant de Prado, les administrations sont encore plus incapables que chez Kafka, les sportifs et leurs supporters sont tous dérangés et dangereux, et les grands patrons véreux comme personne. Ce petit monde est peuplé de gens méchants, d'égoïstes et de crétins de toutes sortes. À ce florilège de bêtise humaine, s'ajoutent quelques autres notes de folie douce distillées par l'auteur espagnol : durant les grosses chaleurs estivales, le métro, seule zone d'ombre de la ville, devient une plage grise où se promener en maillot de bain est communément accepté. Quant au sport national qui déchaîne les foules, c'est une marelle pratiquée par de grands garçons en short...

Les sept histoires courtes rééditées ici, autrefois réparties sur deux albums (Chienne de vie et C'est du sport) et présentées dans un ordre différent, n'ont rien perdu de leur poésie noire et de leur ton grinçant. Servie par le trait sec et anguleux de Prado, chacune de ces chroniques est une petite fable méchamment drôle où, grâce à de légers réajustements graphiques et scénaristiques, le quotidien devient différent, autre. Les personnages qui habitent ces pages sont soit trop longs, soit trop tassés. Ici, les yeux sont trop éloignés, là c'est un uniforme d'un agent de police qui ne ressemble à rien de connu et, plus généralement, ce sont ces perspectives bancales, ces lignes de fuite biscornues. Le trait - a priori - réaliste et sûr est ainsi constamment miné par ces détournements perturbants. Avec Prado, "l'inquiétante étrangeté" est au coin de la rue, et prend les atours d'un humour pince-sans-rire qui n'épargne personne.

C'est un album sur la ville et les gens qui la font. Prado parle de bêtise humaine, de bassesses hypocrites et de méchanceté pure. C'est souvent énorme et la caricature dépasse ses limites, mais en véritable artiste, Prado maîtrise ses récits avec brio et sous sa plume (et son crayon), le "trop" devient soudainement acceptable, normal. Comme une énième quatrième dimension qui ferait cette fois définitivement basculer ce monde du côté du rire jaune citron.


Alexis Laballery
( Mis en ligne le 28/02/2004 )
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